«Chaque communauté croit détenir la vérité [...] Une communauté part du principe de territorialité ; l'autre du principe de personnalité. Les deux sont en opposition totale.» C'est ainsi que l'ex-Premier ministre Jean-Luc Dehaene résumait la semaine dernière la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui la Belgique après avoir échoué à trouver un compromis entre les Flamands et les Wallons sur la crise politique qui secoue ce pays depuis plusieurs mois, pour ne pas dire des années. A première vue, la crise politique opposant les deux communautés est d'ordre linguistique. Les Belges francophones veulent garder le statut spécifique dans la banlieue flamande de Bruxelles, tandis que les Flamands cherchent à remettre en cause les droits linguistiques spéciaux dans l'arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), au nom de l'homogénéité territoriale et linguistique de leur région. Les quelque cent mille francophones vivant à BVH, le seul district du royaume (coupé en deux) où des frontières linguistique strictes ont été définies, se battent pour sauvegarder leur droit à voter pour des partis francophones. Le district de BHV réunit 54 communes, dont 19 relevant de l'agglomération bruxelloises située en Flandre mais majoritairement francophone (85%). A noter que la capitale belge, Bruxelles, est située en territoire flamand, ce qui rend la résolution de la crise politique plus délicate, voire impossible si les deux communautés ne trouvent pas un compromis dans les meilleurs délais. Outre le droit au vote en faveur de leurs partis, les francophones bénéficient de procédures dans leurs langues devant les tribunaux. Parmi les 35 communes flamandes de l'arrondissement de BHV (entourant la capitale), les francophones jouissent également de droits supplémentaires dans six d'entre elles parce qu'ils y sont majoritaires ou très fortement représentés. Ils ont droit en particulier à des écoles francophones et les documents administratifs y sont établis en néerlandais et en français. Les Flamands veulent donc mettre fin à ce statut spécifique et les négociations, entamées il y a quelques mois, ont fini par échouer, provoquant la chute du gouvernement du Premier ministre Yves Leterme. Ce dernier est issu du Christen-Democratisch en Vlaams (démocrate-chrétien et flamand, CD&V). Il a présenté sa démission au roi, suite à l'éclatement de la coalition gouvernementale qu'il dirige depuis le 25 novembre 2009, date à laquelle la Belgique a mis fin à une crise politique ayant duré 100 jours. La première crise du genre remonte à 1988 et elle a duré 147 jours. Le démocrate-chrétien Wilfried Martens n'avait pas réussi à former un gouvernement fédérant toutes les forces politiques autour d'un même projet : la prospérité politique et économique de la Belgique. Après l'éclatement de la crise, jeudi dernier, et la remise par Yves Leterme de sa démission à Albert II (qui ne l'a d'ailleurs pas acceptée), le ministre des Finances, Didier Reynders, a été désigné, samedi dernier, pour jouer le médiateur entre les partis néerlandophones et francophones. Le roi lui a donné un délai d'une semaine pour ramener les deux parties en conflit à la table des négociations, ce qui n'est pas une mission aisée, selon la presse belge et les analystes locaux. L'objectif de cette mission est de rédiger, d'un commun accord, un document fixant les grandes lignes d'un compromis avec des engagements clairement identifiés, sans entrer dans les détails, selon le quotidien belge le Soir et la radio RTBF. Si l'objectif est atteint, le Premier ministre démissionnaire doit lire le contenu de ce document. Pour rappel, les Flamands avait déjà menacé de supprimer d'autorité les droits spécifiques de la communauté francophone par un vote en séance plénière à la Chambre où ils détiennent la majorité, si ces pourparlers échouaient. Si ce scénario devenait réalité, le royaume de Belgique ne pourra pas éviter sa décapitation, étant donné que le fossé séparant les communautés flamande et wallonne s'est creusé davantage ces dernières années. Pour mieux comprendre la crise actuelle, il faut remonter à il y a onze ans. En 1999, les députés flamands ont adopté à la quasi-unanimité cinq résolutions réclamant pas moins de 91 réformes, dont le rapatriement massif des compétences vers les régions (source : le Devoir, journal canadien online). L'adoption de ce document a été faite sur la base du fameux rapport Allaire flamand qui proposait, en fait, «une régionalisation de la Sécurité sociale, de la fiscalité, du développement économique et de l'impôt sur les sociétés». Les Wallons, dont le taux chômage atteint 25% dans certaines régions, ont évidemment rejeté ces résolutions, jugeant qu'une telle opération n'était pas à leur avantage. Pour la Wallonie, la Sécurité sociale reste le fondement de l'Etat fédéral. Les Wallons font d'ailleurs remarquer que les Flamands n'ont jamais demandé la disparition du régime fédéral de pensions. Or, la population flamande est plus âgée que celle francophone, fait remarquer le correspondant du journal le Devoir à Bruxelles. Mais il faut aussi savoir que c'est en territoire flamand que 75% de la richesse du royaume de Belgique est produite. Economiquement parlant, les Wallons sont devenus un fardeau que les Flamands ne peuvent plus à porter. Les deux communautés en sont conscientes et cet état de fait accentue de plus en plus le fossé les séparant. En 2007, le sénateur Wouter Beke disait : «Nous ne voulons pas la fin de la Belgique mais une véritable confédération où chacun pourra agir comme il l'entend.» En fait, il s'agit de réformer le système politique belge qui semble être à l'origine d'un conflit linguistique ayant comme arrière-fond une rude bataille économique entre deux communautés qui ne s'aiment plus, ou peut-être ne s'étaient jamais aimées. L. M.