Quel est «ce cafouillage» dont les contours ne sont pas nets et qui crée un hiatus insupportable pour écrire juste l'histoire de notre Révolution? Le nombre exact (22 ou 21) de militants qui ont assisté, fin juin 1954, à la réunion d'Alger (au Clos Salembier) dans la maison de Derriche Lyès, militant de l'OS, est devenu un point d'histoire de la lutte de Libération nationale parmi les plus précieux à élucider par nos historiens. Cet intérêt est ravivé par la lecture de l'ouvrage Parcours d'un militant (*) de Mohamed Méchati, mis en forme et préfacé par l'historien Daho Djerbal. L'objectif de l'auteur n'était pas essentiellement de préciser le nombre des participants à la fameuse réunion du Clos Salembier, placée sous le sceau du top secret, inspirée par Mohamed Boudiaf et ses compagnons les plus déterminés. En effet, ce parcours de militant de Mohamed Méchati (né le 4 mars 1921 à Constantine) révèle d'abord une personnalité façonnée par les épreuves de la vie coloniale et par l'éveil plein d'enthousiasme d'un nationalisme algérien chevillé à l'espoir populaire d'une Algérie libérée du joug de la colonisation. Cependant, revenons à la constitution du groupe dit des 22. Méchati écrit: «Au sujet du nombre des participants, qu'en est-il à l'origine? Vingt et un ou vingt-deux?» Après avoir évoqué les exigences de la clandestinité qui, en tout état de cause, créait à cette époque-là des cloisonnements entre les militants, il poursuit: «La mémoire étant sélective, dit-on, et déformante selon qu'on s'accommode d'approximations ou pas; je n'ai fait de déductions qu'à partir de mon vécu de l'époque, ravivé par des écrits et des lectures, dès les premières années postindépendance.» Méchati impute l'inexactitude du nombre 22 à l'ouvrage La Guerre d'Algérie d'Yves Courrière, paru en 1968. Il écrit: «L'auteur [Yves Courrière], mentionnant cette réunion de 1954, dresse pour la première fois la liste nominative des participants. Il en dénombre vingt-deux en incluant Hadj Benalla (futur deuxième président de la première Assemblée Nationale algérienne en 1962), qui n'a pas participé et le dira sans ambages. Nous voici donc en 1968 avec une réunion de vingt-deux personnes, selon Courrière. Sa liste est reprise intégralement, avec la même date précise (25 juillet?), deux années plus tard soit en 1970, par Mohamed Lebdjaoui dans un des premiers livres écrits par un auteur et acteur algérien de la révolution. Son livre s'intitule: Vérités sur la révolution algérienne. À partir des années 1970, est donc entrée dans l'histoire et le vocabulaire l'appellation "membres des 22", avec cette liste de vingt-deux personnes, moins une s'étant déclarée non présente; ce qui est devenu pour moi, en toute bonne foi et logique, ‘‘Vingt et un dit des vingt-deux par erreur´´. Un point d'histoire sur lequel, jusqu'à la fin de l'ère Chadli, personne n'a plus rien eu à dire, me semble-t-il. [...] À chacun de comprendre ce qu'il voudra, selon ses affinités ou ses convictions.» Sans recourir ici à la confrontation des opinions divergeant sur «ce point d'histoire», il convient d'orienter le lecteur vers le livre Mémoires d'outre-tombe (tome III), la Résurrection: (Si le 1er Novembre 1954 m'était conté), d'Afroun Mahrez, pp. 160-176. Sous le titre interrogatif Pourquoi la réunion du clos Salembier et le choix des 22 militants?, l'auteur élargit la réflexion en écrivant: «Pourquoi 22? Le groupe aurait été de 23 si [Derriche Lyès] le militant du Clos Salembier sollicité par Didouche avait accepté l'invitation. Informé au dernier moment par Mourad en personne, il a décliné l'invitation. [...] Le groupe aurait été de 24, si Krim Belkacem et Ouamrane Amar étaient présents, de 25, si Ben Bella, Aït Ahmed et Khider n'étaient pas au Caire. Il aurait été de 28, si tous ces militants avaient assisté à la réunion!» Sa conclusion est logique, si même elle parait simple, et peut-être quelque peu abrupte: «Le nombre des participants à la réunion n'était pas décisif par rapport à son enjeu qui dépendait d'un consensus qu'il fallait assurer, d'où le nombre de 22. Dans tous les cas, la réunion n'a jamais dépassé la trentaine de militants. Dans la pièce où s'est tenue la réunion, les 22 étaient à l'étroit. Sans jamais oublier le problème de sécurité.» Mais pour l'Histoire, celle qui exige la précision, la responsabilité, le devoir de vérité, il reste à éprouver le témoignage par la matérialité du fait considéré dans toutes les particularités qui le situent dans le temps. La réunion de juin 1954 au Clos Salembier est un fait singulier; il est unique, c'est-à-dire qu'il ne se répètera jamais tel quel et, comme disent les historiens, «aucun détail, aucune particularité ne sont écartés a priori.» Voilà, à mon sens, un débat ouvert que nos historiens pourraient alimenter avec science et conscience pour nous faire retrouver notre bien, - il y a tant d'historiens étrangers qui concourent pour nous écrire notre Histoire. Et s'ils se trompent, eh bien, ils auront simplement fait erreur, sans avoir rien à perdre! Pourtant, cette longue digression sur l'histoire des 22 ou des 21, ne nous fait pas négliger le parcours du nationaliste Mohamed Méchati. Il nous raconte son enfance pauvre, les événements marquants des années 1921 à 1938, l'épisode vécu du 7e RTA et de la Seconde Guerre mondiale. C'est avec beaucoup de détails qu'il nous ramène aux années difficiles du militantisme clandestin du temps du PPA puis de son engagement révolutionnaire dans l'Organisation Secrète (OS) puis dans la lutte armée de libération nationale. Il n'hésite pas à décrire et à analyser «Les divergences de vue et discordes sur le déclenchement de la lutte armée», ses activités de responsable au sein de la Fédération du FLN en France, les circonstances de son arrestation et les conditions douloureuses de sa détention à la prison de la Santé où il a dû, avec ses compagnons, faire la grève de la faim pour obtenir le statut de prisonniers politiques. Un chapitre très fort d'émotion et de conviction, «Les avatars d'une révolution» clôt cet ouvrage utile à lire pour comprendre encore une fois, s'il en est besoin, que la Révolution algérienne est un fait historique qui a ému et encouragé tous les peuples en lutte contre le colonialisme et ses adeptes...Dans sa conclusion à son livre Parcours d'un militant, Mohamed Méchati a ce cri de militant nationaliste navré: «Après plus de quarante années d'indépendance, fruit d'une guerre implacable, et très chèrement payée, l'Algérie et son peuple sont toujours la proie du désespoir et de la désillusion. [...] Comment en est-on arrivé là, comment ont pu être dévoyés à ce point les sacrifices inouïs et les espérances de plusieurs générations d'Algériens engagés dans le combat depuis 1919 et jusqu'à 1962?» (*) Parcours d'un militant de Mohamed Méchati, Chihab Editions, Alger, 2009, 239 pages.