L'enfant a une forte ambition d'esprit. Il veut grandir et occuper une place, une belle place dans la Cité. Dans l'acte de lire se confondent, à tout le moins, trois problèmes: le pédagogique, le psychologique et le social, et dont les interactions finissent par laisser apparaître un seul à nos yeux: c'est le problème de la lecture, c'est-à-dire le problème du livre pour les enfants, le seul principalement sous-tendu par l'intérêt et la motivation qui, associés, révéleront que le capital de l'homme est l'enfant. (Le bon sens populaire ne s'y trompe pas: Ar-radjel, râs Mâlou, oulâdou.). Pourtant, nous comprenons tous la valeur de la lecture, la lecture solitaire qui est tout autre chose que la lecture à l'école. Nous pensons, évidemment, à la lecture plaisir et savoir, source et ressource d'intérêt et de motivation, et dont la conséquence directe serait, d'une part, de contribuer au développement intellectuel et affectif de l'enfant et, d'autre part, de l'amener à participer à la vie de sa Cité. Ainsi, autant il est essentiel que le livre ait droit de cité, autant, il est impératif que l'enfant soit disposé, par lui-même et par l'adulte, à être citoyen. Par conséquent, le citoyen adulte (notre optimiste authentique) doit se donner la tâche complète de fournir de quoi lire à l'enfant. Environné de toutes sortes de bons livres, revues, journaux, images, cartes, photographies, films, etc., l'enfant apprendra peu à peu à s'instruire de son propre mouvement, à élargir son horizon, à bien choisir ses lectures. Le souci majeur de l'adulte est, à notre sens, de produire des livres dont le choix sera dominé par les besoins de l'enfant, tant pour son travail scolaire, que pour son divertissement ou ses loisirs. Auteur du texte, artiste illustrateur, éditeur, imprimeur, libraire, structure éducative, parents, tous ont le devoir de partager ce «magnifique» souci, s'il en est: se poser des questions, de tous ordres, à tous les stades de l'élaboration du livre, jusque y compris son utilisation par l'enfant. On peut soulever une foule de questions, par exemple: à propos du sujet (son rôle dans la vie et la formation du jeune lecteur); à propos de son contenu et de ses qualités littéraires, scientifiques, artistiques; à propos de sa présentation en examinant la qualité de tous les éléments mis en oeuvre dans sa fabrication matérielle; à propos du prix s'il est en rapport avec la nature de l'ouvrage; à propos de l'auteur (sa qualification pour traiter le sujet); à propos de l'éditeur (quelle est sa réputation dans la profession?); à propos de l'accueil fait à l'ouvrage par la critique spécialisée ou institutionnelle dont l'opinion est incontestable...Tel est, me semble-t-il, le minimum que l'adulte citoyen devrait, selon sa compétence, observer dans la conception générale du livre pour intéresser l'enfant, pour favoriser sa maturation, pour l'éveiller aux valeurs culturelles et scientifiques de notre époque qui se veut si technicienne, et au bout de ce minimum de soin technique et culturel, il aura progressivement fabriqué à l'enfant la clé de son avenir. C'est donc une grave erreur chez nous que de négliger le livre pour les enfants. Je parle, dépassant les contingences et les prétextes négatifs de tout genre et même les obstacles dits objectifs, je parle ici du livre tout court pour les enfants et plus largement du livre pour la jeunesse. Je dis bien pour la jeunesse, car hélas ! il est fréquent que cette expression «livre pour enfants» frise le péjoratif et développe, parfois chez certains, une idée de dédain et d'ouvrage mineur. Mais qu'à cela ne tienne! En effet, ceux qui savent que l'enfant est le capital humain de notre nation et en sont jaloux, agissent, en conséquence, en professionnels éclairés. Ceux-là sont rares, en vérité; on pourrait tout juste les compter sur les doigts d'une seule main. Par bonheur, combien d'au-tres - j'en ai eu d'heureux échos - s'apprêtent déjà à s'engager dans cette belle aventure, nécessaire et valorisante, de la publication pour la jeunesse! Pour l'heure, une infime partie des entreprises existantes, avec un courage admirable face aux difficultés matérielles et financières, avec un enthousiasme infini pour le bel ouvrage, bon an mal an, réussit à joindre, je ne sais quel point espéré du long parcours obligé de la profession, et qui lui procure l'inestimable bonheur de souffler un temps, avant de reprendre la marche vers le point suivant...Mais à quel prix, toute cette passion de réussir!...Les chefs de ces vivantes entreprises sont plus qualifiés que moi pour décrire leur solitude dans une course de fond, parsemée d'obstacles inattendus et où l'angoisse de l'échec est permanente. Enfin, n'omettons pas le rôle, lui, très attendu et très important des bibliothèques, qu'elles soient publiques ou scolaires, puisqu'elles sont créées pour fournir «de quoi lire». Par exemple, la bibliothèque municipale, la bibliothèque du quartier, la bibliothèque de l'école ou celle du lycée, suffisamment accueillante et pourvue de livres de tous les niveaux et sur des sujets très divers, permettra à l'enfant d'exercer son jugement et de former son esprit critique et son goût. Orienté, conseillé, informé par le bibliothécaire, il pourra explorer à l'aise le domaine du livre et bientôt la bibliothèque deviendra pour lui un lieu naturel pour ses activités de lecture, de recherche de documents et de travail personnel. Au reste, il est quelques-unes de ces bibliothèques dont la richesse du fonds et le bon fonctionnement réjouissent leurs utilisateurs...Mais n'omettons pas non plus d'appeler l'attention sur d'autres bibliothèques, assez nombreuses, et qui sont pauvres en ouvrages, miséreuses en raison de leurs livres mal conservés ou perdus et rarement remplacés. Ces bibliothèques sont parfois abandonnées, désorganisées, - l'important de leurs fonds étant souvent ignoré, oublié dans des sous-sols sarcophages...Je ne veux point relever leurs insuffisances, ni les expliquer, ni les justifier. Et puis, je ne le peux. Par contre, comme tout citoyen adulte, et avec tout citoyen enfant, comment ne pas s'étonner de la négligence, et de la trouver très dommageable, qui ronge, et la fait s'affaisser, mur après mur, notre cité de beauté et de culture, qu'inlassablement des esprits dévoués essaient de toute leur âme de maintenir debout? L'extrême tension est précisément dans cette négligence qui s'élargit et trompe les grands esprits qui, eux, sont partout et ne peuvent complètement tout faire pour l'enfant citoyen! Pourtant, il faut que l'enfant aille bien vite à la recherche de ses sources et à sa propre rencontre dans les plis féconds de l'histoire et fertiles de la civilisation de son pays. Car enfin, où irait-il lire le passé de sa Cité, les contes et légendes des personnages qui y ont vécu, l'évolution de sa société, les oeuvres de ses grands hommes, les héros vivants et les héros disparus? Où lira-t-il l'alphabet-image, grâce auquel, il apprendra la lettre et la couleur et, peut-être, le son de la voix de ses ancêtres? Où?... Voilà pourquoi, bien que vous sachiez tout ce que je viens d'évoquer, et certainement plus encore, je souhaite, devant la dure réalité de l'insuffisance de l'intérêt porté aujourd'hui à la participation effective de l'enfant à la vie de sa Cité, que soit partagé par le plus grand nombre d'esprits responsables, et ne soit pas vain, cet appel spontané du fond du coeur: DES LIVRES POUR LA JEUNESSE, S.V. P.!