Se tuer au travail est loin d'être une banale réflexion. C'est une réalité pour les familles de plusieurs centaines de travailleurs. Le boom de l'industrie du bâtiment ne fait pas que des heureux. Il produit même des morts. C'est, en effet, le secteur qui est à l'origine du plus grand nombre d'accidents du travail et de décès des travailleurs. Globalement, le nombre de personnes tuées sur les lieux de travail ou sur le trajet y conduisant est de 644 morts en 2009. Il a légèrement diminué par rapport à 2008. Cette année-là, il y avait 651 morts. Chaque jour presque deux travailleurs laissent leur vie en tentant de garantir les moyens de subsistance à leurs familles. Lorsqu'ils ne sont pas transportés à la morgue, les ouvriers sont 50.000 à nécessiter des soins chaque année suite à des accidents de travail. Si cette hécatombe touche la force de travail, ce n'est pas parce que la législation ne les protège pas mais parce que les patrons, privés ou publics, sont peu enclins à engager des dépenses pour sécuriser leurs employés. Combien de fois, maçons, peintres et vitriers se retrouvent perchés sur des bâtiments au risque de tomber dans le vide? Et c'est effectivement ce qui arrive. Que le capital dispose de la force de travail des ouvriers, c'est vieux comme le capitalisme, mais que les patrons se soucient si peu de l'intégrité physique des employés peut relever de l'homicide involontaire. Les inspections du travail sont bien investies du pouvoir de contrôle et de sanction, mais leur action est loin d'être suffisante pour contraindre les patrons à améliorer les conditions de sécurité des travailleurs. Les syndicats sont alors censés prendre le relais pour réduire l'ampleur du phénomène. Mais là aussi, les revendications salariales sont celles qui remontent le plus souvent à la surface. Les familles des travailleurs sont perdantes dans l'affaire. Veuves et orphelins n'ont le plus souvent que les yeux pour pleurer, notamment si les travailleurs ne sont pas déclarés à la Sécurité sociale. Même cet organisme ne se réjouit pas de l'existence du phénomène car il y a des indemnités à verser aux ayants droit en cas d'accident de travail ou de décès. La Caisse nationale des congés payés et du chômage du secteur du bâtiment (Cacobat) est l'autre organisme à s'occuper du dossier. Tous deux seraient bien inspirés de lancer des campagnes pour contribuer à freiner cette tendance à faire peu de cas de la vie humaine. Il ne serait d'ailleurs pas étonnant de découvrir que ceux qui sont le plus exposés aux dangers du travail sont ceux classés au bas de l'échelle professionnelle. Les directeurs généraux ayant laissé leur vie dans des bureaux ne forment pas le gros des troupes qui se tuent au travail. En tous cas, la facture de la négligence est élevée. Dix milliards de dinars sont dépensés pour payer les effets de ce laisser-aller. Cela représente 10 à 8% de la masse salariale, ont constaté les spécialistes des relations de travail. Mais puisque d'autres dispositions du droit de travail ne sont pas respectées, l'activité au noir ne cesse d'attirer un grand nombre de travailleurs. C'est 40% de l'activité économique qui est générée par le secteur, selon le ministre de la Formation et de l'ensegnement professionnels, El Hadi Khaldi. De son côté, le ministre du Travail, Tayeb Louh, s'est voulu plus rassurant sur le dossier de la sécurité au travail. Près de 17.000 entreprises sont conventionnées avec des établissements de santé, a-t-il souligné le mois dernier. Les actions du ministère se concentrent aussi sur des journées organisées sous le thème des risques et de la prévention dans le monde du travail. Mais l'application des conventions pose problème sur le terrain, notamment dans le secteur de la construction. Le ministre confirme que les accidents du travail dans le bâtiment et les travaux publics posent toujours problème. Il est même constaté que la médecine du travail n'est pas obligatoire dans les entreprises. Les médecins du travail estiment que c'est aux sociétés de les solliciter.