Pour une fois, la nécessité a primé. C'est vrai! Et c'est même avec un ouf de soulagement qu'on a appris qu'un ministère chargé de la Réforme pénitentiaire a été créé pour répondre à un certain nombre de questions où la morale, l'économie, la dignité humaine et le respect des droits de l'Homme devraient enfin pouvoir faire bon ménage. Commençons d'abord par rappeler que l'ensemble des prisons algériennes est vétuste puisque certaines ont plus de deux siècles. Et pour citer un exemple éloquent, le bagne de Serkadji qui en fait partie, témoigne par la même occasion de l'inquiétant délabrement de notre secteur pénitentiaire. A ce propos, le lecteur aura certainement vite remarqué qu'au lieu de qualifier l'actuelle centrale carcérale de Koudiet Es-Saboun de prison, on a parlé de bagne. Or, c'était bien la fonction originelle de cet ensemble pendant la présence ottomane à Alger. L'évocation de ce point particulier nous rappelle que le secteur pénitentiaire existant aujourd'hui dans notre pays date au moins de deux siècles. Et qu'il s'agit bien d'un héritage que les autorités algériennes à l'indépendance ont continué de gérer pratiquement de la même manière que les autorités coloniales avant elles. Pour autant, l'Algérie, qui a expérimenté pendant quarante ans différents modèles de développement économique pour revenir en dernier ressort à l'économie de marché qu'elle avait boudée dès les premières semaines de l'Indépendance, n'a pas hésité à dépenser des milliards de dinars pour construire de nouvelles prisons. Des prisons qu'elle a malheureusement continué de gérer comme au temps du colonialisme, avec le même esprit agressif du maton à l'égard du détenu comme cela se passait pendant la Guerre de Libération où justement le détenu était souvent un fidaï ou un maquisard récemment capturés. Curieusement durant cette période, la prison ou le camp de concentration étaient aimés par les visiteurs au motif que ces deux pôles du secteur pénitentiaire représentaient ce qu'il y avait de plus digne et de plus héroïque dans les rapports qu'entretenaient les Algériens avec la lutte de libération. Pour autant ce type de gestion, inhumain et réfractaire à toute forme de repêchage de l'individu incarcéré par une forme d'humanisation progressive des rapports entre lui et l'administration pénitentiaire, est resté en vigueur uniformément aussi bien dans les anciennes prisons que dans les nouvelles. Au moins jusqu'en 1972, année qui, grâce à la réflexion multidisciplinaire de certains spécialistes, a vu naître un projet de réforme du secteur pénitentiaire qui, hélas, ne verra jamais le jour officiellement. Et voilà qu'en 2002, on reparle de nouveau de cette réforme sans la mise en oeuvre de laquelle l'Algérie ne saurait continuer à se porter garante devant les autres nations, du respect et de la protection des droits de l'Homme dans son pays. Ce qui est vrai puisque notre pays s'est engagé «urbi et orbi» à veiller à ce que ces droits ne fassent jamais plus l'objet de violation sur toute l'étendue de son territoire. Soit! Après le rendez-vous manqué d'il y a trente ans sur la mise en oeuvre d'une réforme convenable, comment se présente aujourd'hui la situation dans nos prisons? Le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle a empiré en particulier durant ces douze dernières an- nées avec la pression que n'a cessé d'exercer sur les établissements pénitentiaires le nombre de plus en plus grand de prisonniers venus des milieux terroristes. Douze ans, un temps que le pouvoir aurait dû justement mettre à profit en traitant par des spécialistes les déviances psychologiques qui ont conduit une partie de jeunes Algériens à répondre à l'appel de l'islamisme. D'où l'absence de spécialistes dans nos prisons. Aujourd'hui encore, on constate que nos prisons continuent d'être boudées par eux et même que l'université algérienne, à l'exception de quelques mémoires de magistères vite bâclés, n'a rien produit qui puisse être considéré comme une préoccupation permanente de la situation en milieu carcéral, de son évolution et de ses capacités de préparer sérieusement le détenu libérable à l'insertion une fois dehors. Pour ce qui est des pathologies propres à ce milieu, aucune étude approfondie non plus n'a été élaborée pour servir de base éventuelle à l'institutionnalisation en faculté d'une discipline traitant de la santé pénitentiaire en permanence. Le fonctionnement interne des prisons à présent. Une constante est à souligner à ce propos: la brutalité et le comportement inhumain qui prévalent au sein de l'administration pénitentiaire dans sa manière de gérer les prisonniers. Mais pas seulement eux dans la mesure où les parents du détenu ne sont pas épargnés par un système qui prend tout à fait ses aises en traitant les visiteurs, au parloir comme à l'entrée de l'aire de détention, comme des infrahumains. Pourquoi? Allez savoir! C'est vrai que, par ailleurs, on a introduit des ordinateurs en prison pour aider l'administration à mieux gérer le patrimoine pénitentiaire et les effectifs des détenus. Cette initiative est certainement louable quelque part, mais elle n'améliore pas pour autant les rapports entre la direction de la prison, les surveillants et les détenus. Par exemple, on aurait agi plus raisonnablement en installant des téléphones dans les prisons pour éviter aux parents, surtout ceux démunis, de parcourir parfois des centaines de kilomètres avant d'arriver au centre de détention où est incarcéré leur fils, leur fille ou un membre de leur famille. De grandes et profondes améliorations restent à faire en milieu carcéral. Ce qui vient d'être évoqué n'est qu'une goutte d'eau par rapport à la réforme fondamentale qui reste à faire. Un chantier à suivre.