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La littérature ou la difficulté d'aborder la Guerre d'Algérie
RENCONTRE AVEC LAURENT MAUVIGNIER
Publié dans L'Expression le 24 - 05 - 2010

L'auteur du roman Dans la foule, était avant-hier, à la cinémathèque Mohamed-Zinet pour la présentation de sa dernière oeuvre, Des Hommes, réédité par les éditions Barzakh.
Comment remuer le couteau dans la plaie sans faire de mal? Comment peut-on aborder une question qui nous concerne sans porter de jugements? Pour Laurent Mauvignier, auteur Des Hommes, cela relève de l'impossible. Ce jeune romancier préfère donc parler de cette grande difficulté qu'ont certains en évoquant une période qui les auraient marqués à tout jamais... la Guerre d'Algérie.
Son dernier ouvrage: Des hommes, présenté avant-hier à la cinémathèque Mohamed-Zinet de Riad El Feth, n'est, de ce fait, que la restitution d'une expérience vécue par des personnes qui ont enduré la guerre. «Je ne voulais pas faire de discours. Ce n'était pas mon objectif. Je voulais juste restituer une expérience», affirmera Laurent Mauvignier. «La question de la Guerre d'Algérie est trop complexe, elle est presque indéchiffrable», relève encore l'auteur. La dichotomie du bien et du mal si évidente dans les essais et romans écrits autour de la question est inexistante dans Des Hommes.
Au cours du débat qui a eu lieu autour de l'ouvrage, Mauvignier, précisera qu'il ne cherche guère à rétablir une certaine vérité.
Son roman tourne autour de quatre personnages, dont Bernard, surnommé Feu de bois. Il passe son temps dans le bars, il est sale et sent mauvais.
L'auteur du roman Dans la foule le décrit avec une précision déconcertante. Il s'agit aussi d'un ancien appelé de Guerre d'Algérie. Un être tourmenté par le passé, perdu, et consumé par le temps; il se mure dans un mutisme qui devient, au fil des années, intenable. Il quitte sa femme et ses enfants, il abandonne ses amis et les membres de sa famille.
Solange, sa soeur, est le seul être pour qui il éprouve toujours de l'affection. Lors de son anniversaire, celui-ci lui offre une broche en or parsemée de diamants.
La chose sème le trouble dans la salle, tout le monde est obnubilé par une seule question: comment ce «vagabond» a pu lui offrir un tel cadeau?
Mais ils ne vont pas tarder à résoudre l'énigme, celui-ci avait volé l'argent à sa mère juste après son départ à la maison de retraite. Solange hésite, s'angoisse et finalement refuse le cadeau. Humilié par sa soeur et par les autres, il décide de se venger en s'en prenant à un «bougnoule». C'est le soir, que le passé longtemps refoulé, lié à la Guerre d'Algérie refait surface...un passé dont Bernard comme tant d'autres appelés n'ont jamais pu se remettre.
C'est le cas, puisque même s'ils feignent l'oubli, ses amis, ses cousins et mêmes ses connaissances sont toujours hantés et habités par les souvenirs.
Dans Des Hommes, il y a cette volonté d'évoquer, non pas cette guerre si injuste pour certains, mais surtout les non-dits et les phrases avortées de ces personnes désespérées.
«Personnellement, je suis presque incapable de parler de la Guerre d'Algérie, dans ce roman je parle justement de cette difficulté, la difficulté qu'ont les anciens appelés à évoquer le sujet», nous expliquera le romancier. Lors de cette rencontre littéraire, Mauvignier reviendra sur la manière dont son entourage abordait de cette guerre.
«On n'en parlait pas, on l'évoquait furtivement quand surgissait tout d'un coup une photographie ou encore une expression, un souvenir évoqué par une femme.» Et de renchérir: «Ce sont les femmes qui abordent en général ce discours.»
Pour écrire la partie liée à la Guerre d'Algérie, l'auteur s'installera pour quelques mois à Berlin. «J'ai longuement hésité avant d'écrire certains passages et scènes. Pour ce qui est du chapitre qui aborde la guerre d'Algérie, je l'ai écrit effectivement à Berlin, j'avais l'impression que j'étais dans l'impossibilité de l'écrire en France», fera-t-il observer. Il ne cessera d'expliquer la difficulté d'écrire sur cette période. Il insistera encore une fois: «Je voulais restituer le souvenir de quelques photographies, quelques phrases...il ne s'agit pas d'une parole de vérité, mais d'une parole du peut-être».
Il n'y a pas de mémoire unique ni de vérité unique, c'est ce que tentent d'expliquer, tant bien que mal, certains historiens et dans ce sens, Laurent Mauvignier les rejoint.
Il est à noter que ce roman sera prochainement adapté au cinéma par le réalisateur français Patrice Chéreau. «Il sortira probablement dans les salles en 2012, on parlera beaucoup de la Guerre d'Algérie au cours de cette année», fera savoir l'auteur.


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