Jeudi dernier, la pièce présentée par le TRB avait drainé beaucoup de monde. Les rideaux se lèvent sur une ville en branle. Une alerte est donnée: un sanglier a été repéré par les habitants. L'animal sauvage blesse quelques enfants et tue un chat. Alors que le jeune Boudjadi (interprété par Farid Cherchari) voudrait absolument le retrouver et l'abattre, Djamel, son collègue, l'universitaire, défend une autre thèse. Pour lui, ces animaux peuvent bien vivre parmi la société. Dans une agence d'assurance où travaillent Boudjadi et les autres, on ne parle que de cela. Les employés évoquent aussi l'histoire d'une usine que le propriétaire aurait incendiée volontairement pour toucher l'argent de l'assurance. Une affaire de corruption sans doute que certains tentent d'occulter. Mais un autre sanglier sera repéré juste à l'entrée de l'entreprise. Il s'est avéré, par la suite, qu'il s'agissait de Djelloul, un de leurs collègues de l'agence, qui s'est transformé sous cette forme d'animal. Quelques minutes plus tard sa femme subit la même mutation. La chose prend l'allure d'une épidémie contagieuse qui se propage peu à peu dans la ville et qui a pour nom: «le haloufisme». «Le mot halouf a de nombreuses connotations chez nous. Le halouf (porc) est celui qui mange à toutes les sauces. Quelqu'un de sale, qui se permet tout, d'ailleurs la traduction adéquate du titre de la pièce serait: Oh vous les hommes, vous êtes capables de tout», nous expliquera Omar Fetmouche, metteur en scène de la pièce et directeur du Théâtre régional de Béjaïa. On découvrira, par la suite, que celle-ci ne serait qu'une métaphore du phénomène de la corruption. Un phénomène qui prend de plus en plus d'ampleur. Cette pièce lève le voile pudique avec lequel on essaie de cacher, tant bien que mal, les travers de cette société où la corruption est devenue monnaie courante. «Dans Rjal ya hlalef, on aborde le problème de la corruption qui s'est érigée en système, c'est devenu même une fatalité», nous dira Omar Fetmouche. Rjal ya hlalef a été mise en scène pour la première fois par le grand dramaturge Malek Bouguermouh. Il s'agit d'une adaptation libre de Rhinocéros d'Eugène Ionesco, effectuée par Fetmouche en 1989. Alors que Ionesco parle de «rhinocérite» dans sa pièce écrite dans les années cinquante, une épidémie imaginaire, une sorte de maladie qui effraie tous les habitants d'une ville et les transforme tous en rhinocéros, Fetmouche parle dans Rjal ya Hlalef de «haloufisme». Dans Rhinocéros, le dramaturge critiquait la dérive totalitaire de certains régimes, dans Rjal ya Hlalef, on dresse une critique d'une autre forme de totalitarisme: la corruption. Avec cette pièce, présentée dans le cadre du Festival national du théâtre professionnel, jeudi soir, il y avait cette parfaite synergie entre le public et la scène. Une espèce de symbiose extraordinaire. Les comédiens, dont la majorité sont jeunes, étaient tous émouvants, poignants et convaincants. Ils étaient à la hauteur du défi de faire redécouvrir cette pièce au public, que ce soit sur le plan du langage que sur celui du jeu. Réhabiliter l'oeuvre de ce grand dramaturge était l'objectif du Théâtre régional de Béjaïa en choisissant cette pièce. «On ne pouvait lui rendre hommage sans éterniser ses oeuvres. Cet hommage devait se terminer par la présentation de l'une des pièces du dramaturge, et notamment la pièce qu'il a laissé inachevée... c'était un devoir de mémoire.», nous expliquera le directeur du TRB. Ce dernier a longtemps travaillé avec le regretté Malek Bouguermouh, notamment sur Rjal ya Hlalef.