S'il vous plaît serveur, grouillez-vous. Moi, je suis comme vous, je travaille. Je ne bénéficie pas du nouveau week-end », s'exclame un jeune homme dans une pizzeria à Meissonnier, les yeux rivés sur sa montre. Le jeune cadre avait visiblement une heure de pause-déjeuner, le nouveau week-end ne changeait rien à son emploi du temps. En ce 15 août, premier samedi du nouveau week-end, Alger arbore la mine de ses journées les plus ordinaires, avec ce qui caractérise le mois d'août, c'est-à-dire la canicule et les flâneries des oisifs et des potaches en congé forcé. Il est vrai que c'est l'école et, dans la foulée, la fac, qui font réellement la différence, et tant que l'Education nationale et l'Enseignement supérieur sont sur le mode off, il est difficile de voir la différence entre un samedi et un jour ouvrable. Au-delà de ce facteur important, il faut dire qu'il y a encore confusion quant à ce réaménagement du repos hebdomadaire. Et la distribution des forces de travail semble se répercuter sur la topographie de la ville et son métabolisme. Si les grandes artères affichaient hier une animation, somme toute, normale, avec les mêmes cafés bondés, les mêmes boutiques de prêt-à-porter envahies par les chalands, les mêmes cinémas (plutôt rares) et leurs couples en quête d'intimité, toujours est-il qu'il y avait pas mal de rideaux baissés et autres raisons sociales en berne. A contrario, il y avait des enseignes parfaitement fonctionnelles pour un jour férié. Exemple : la poste. « Rien n'a changé pour nous », confie cet employé de la Grande-Poste. « Nous continuons à assurer le service du samedi au mercredi, de 8h à 19h, et le jeudi, on travaille de 8h à 17h. Nous n'avons que le vendredi comme relâche », indique-t-il. Pareil pour les éboueurs de Netcom ou encore les travailleurs de l'Etusa et de la SNTF qui, même le vendredi et le jour de l'aïd, assurent le service minimum. Les guichets de l'état civil étaient, quant à eux, fermés, quoi que depuis toujours, ils ne travaillent pas le samedi. Pareil pour les banques et les assurances qui affichaient « closed » comme à l'accoutumée, leur week-end ayant toujours été vendredi-samedi. Les buralistes relèvent, pour leur part, que la plupart des titres de la presse nationale vont opter dorénavant sur une semaine pleine après que El Watan et El Khabar eurent ouvert la voie aux éditions spécial week-end. Pour le reste, c'était un peu la cacophonie hier, et ce qui aura fait réellement la différence, en définitive, c'est le foot. Car la seule et véritable nouveauté vient du championnat qui s'aligne sur les championnats européens avec le samedi comme jour des principaux matches en lieu et place du jeudi. Hier, l'affiche à Alger, c'était CRB-JSM Béjaïa au stade du 20 Août, et les tiffosis de Belcourt étaient les héros du jour. Sinon, pas de changement notable. « Nous, on travaille aujourd'hui le plus normalement du monde. Peut-être que cette semaine, les choses vont se clarifier. Pour l'instant, nous sommes en stand-by », dit un employé d'une société étrangère intervenant sur les chantiers de l'autoroute Est-Ouest. Beaucoup de sociétés observent une période de test et n'ont pas encore dit leur dernier mot à propos de cette transition. « La semaine à 5 jours n'est pas un acquis social » Yasmine, responsable commerciale dans une entreprise de commercialisation de meubles, était de service ce samedi. « Notre organisation de travail n'a pas changé. Nous avons toujours eu six jours de travail par semaine et non cinq. Et le vendredi reste notre journée de repos », souligne-t-elle. Yasmine soulève, à juste titre, la nuance selon laquelle ce n'est pas tout le monde qui dispose de deux jours de récupération par semaine. « Avant, on ouvrait le vendredi pour permettre aux gens de faire leurs achats. C'était la seule journée dont ils disposaient vu que eux aussi travaillent la semaine et n'ont pas de temps pour le shopping. Avec le nouveau week-end, on se repose le vendredi, et le samedi, on le consacre à notre clientèle qui aura ainsi plus de temps pour faire ses emplettes », explique Yasmine, avant de nous confier : « Personnellement, le vendredi me convient parfaitement dans la mesure où il y aura plus de boutiques ouvertes. La plupart ouvrent après 16h, notamment à Sidi Yahia, à Kouba ou encore à Bouzaréah, et cela me permet d'avoir une offre plus achalandée pour faire mon shopping. » Yasmine ajoute que la dimension « religieuse » du vendredi ne l'empêche guère de profiter pleinement de sa journée de relâche. « Je vais à la plage de 8h à 20h sinon, c'est plan piscine. Je ne vis pas le vendredi comme une contrainte. Chacun fait ce qu'il veut. Moi, je suis très tolérante. Il y a la mer et il y a la mosquée et, franchement, moi, je préfère la mer. » Pour elle, il n'est pas certain que ce réaménagement du week-end apporte grand-chose à l'économie nationale. « De toute façon, il y avait plein d'entreprises qui avaient leur week-end vendredi-samedi. Et puis, ça ne nous connecte pas pour autant à l'économie mondiale. Il faut avoir le courage politique et économique d'aller sans ambages vers le week-end universel au lieu de tergiverser comme cela. » Pour cet universitaire ayant requis l'anonymat, « il serait utile de s'attarder sur les conséquences sociales et politiques du nouveau week-end ». « Economiquement, c'est quelque chose de bien. Nous allons gagner quelque chose comme 700 millions de dollars, soit 100 km d'autoroute par an », note-t-il. Il relève avec une « pertinente impertinence » l'impact insidieux de ce déplacement du week-end sur les mentalités : « Le nouveau week-end va laminer le comportement des islamistes radicaux et le discours de la mort. Dans l'ancien week-end, les gens travaillaient jusqu'à mercredi, et le jeudi, ils s'adonnaient à des activités sociales (déplacements, achats, etc). Le vendredi, étant donné qu'il n'y a rien de spécial, ils passent leur temps à écouter les prêches religieux. Si bien que le samedi, lorsqu'ils retournent au boulot, à l'école ou à l'université, ils racontent les prêches à tout le monde, et la conséquence en est que la société est devenue ce qu'elle est maintenant. Par contre, dans le nouveau week-end, les gens travailleront jusqu'à jeudi, de sorte que le vendredi sera une journée pesante pour eux. Ils voyageront ou même travailleront la demi-journée, notamment ceux du secteur privé. Résultat des courses : les Algériens seront fatigués et même les mosquées se videront d'ici quelque temps. En tout cas, on prêtera moins attention aux prêches religieux en raison de cet épuisement. Le samedi, nos concitoyens vont exprimer une demande de loisirs et d'activités culturelles, et j'espère que, le cas échéant, Mme Khalida Toumi sera attentive à cette demande et songera à organiser une offre culturelle dans ce sens (concerts, théâtre, expos, etc.). Quand le dimanche arrive, les gens vont petit à petit se mettre à parler culture et faire part de leurs activités sociales. » Et de conclure : « Vous savez, l'islamisme a commencé avec le changement du week-end dans les années 1970. »