Deux anciens ministres français des Affaires étrangères, Hubert Védrine (1997-2002) et Alain Juppé (1993-1995) ont déclaré que «le Quai d'Orsay est un ministère sinistré». L'actuel chef de la diplomatie française, qui déclara au mois de février dernier: «La génération de l'indépendance algérienne est encore au pouvoir. Après elle, ce sera peut-être plus simple», est vraisemblablement un homme en sursis au sein du gouvernement dont il fait partie depuis l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. Ses deux prédécesseurs, qui se sont exprimés dans les colonnes du journal Le Monde, ont été sans concession avec sa gestion. «L'effet est dévastateur: l'instrument est sur le point d'être cassé, cela se voit dans le monde entier. Tous nos partenaires s'en rendent compte. Pourtant, dans la compétition multipolaire, où tout se négocie en permanence avec un grand nombre d'interlocuteurs qu'il faut connaître avec précision, la France a plus que jamais besoin de moyens d'information et d'analyse», ont affirmé à l'unisson les deux hommes qui ont devancé le «French Doctor» au département des affaires étrangères. Cet implacable constat du délitement de la politique étrangère de la France, essentiellement africaine, depuis la nomination de Bernard Kouchner à la tête de la diplomatie française, n'en restera cependant pas là. Le clou sera enfoncé par l'ex-ambassadeur de France au Sénégal, qui vient tout juste d'être débarqué. Il a quitté ses fonctions et Dakar, le 30 juin 2010, en raisons de difficiles relations avec le président Abdoulaye Wade, qui, depuis longtemps, réclamait son départ. La raison? Des messages adressés par l'ancien président d'Action contre la faim (une organisation non gouvernementale) à sa hiérarchie, qui blâmaient la gestion du pays et remettaient en cause l'aide financière au Sénégal. «Venir en aide au Sénégal sans lui demander de réformer profondément son système politique reviendrait à fournir à un toxicomane la dose qu'il demande mais le conduit un peu plus sûrement vers sa fin», a écrit dans un de ses télégrammes au Quai d'Orsay l'ambassadeur déchu, qui est aussi membre de l'Académie française depuis 2008. Dans le sillage des déclarations des deux ex-chefs de la diplomatie française, il n'aura pas la dent assez dure pour descendre en flammes la politique africaine de Sarkozy en Afrique. «Ces dernières années, un mode de gouvernance particulier s'est construit: les affaires africaines les plus sensibles sont tranchées par Claude Guéant qui n'a aucune connaissance particulière de l'Afrique», confiera dans les colonnes du même journal Jean-François Rufin. Dans la foulée, il assénera une sorte de coup de grâce à son ex-patron: «M.Kouchner a réorganisé le ministère à la manière d'une organisation non gouvernementale (ONG). Il a créé une ´´direction de la mondialisation´´ au titre ronflant, qui laisse entendre que la France peut régler les problèmes du monde. Mais quand vous pénétrez dans les bureaux, vous découvrez deux personnes sans aucun moyen, supposées lutter par exemple contre le réchauffement climatique!» Le gouvernement Sarkozy qui est empêtré jusqu'au cou dans des affaires de scandales financiers et de malversations aurait pu se passer de ces sorties médiatiques tonitruantes qui l'affaiblissent un peu plus à moins de deux ans de la présidentielle de 2012. Deux de ses ministres ont fini par jeter l'éponge. Le chef de l'Etat français vient d'être éclaboussé lui-même. Il est accusé d'avoir reçu 150.000 euros en liquide de la part de Liliane Bettencourt. L'héritière des établissements L'Oréal est soupçonnée d'évasion fiscale. Le ministre du Travail, Eric Woerth, est au coeur de cette affaire. Nicolas Sarkozy, qui a la tête ailleurs et qui donne l'impression d'avoir perdu la main, ne doit pas hésiter à faire le ménage pour remettre un peu d'ordre dans la maison. Bernard Kouchner devrait en toute logique être débarqué lors du prochain remaniement. L'appel lancé par Hubert Védrine et Alain Juppé l'indique. «Cessez d'affaiblir le Quai d'Orsay!», ont-ils ordonné, sans citer le nom de l'actuel chef de la diplomatie française. La génération de l'indépendance algérienne encore au pouvoir survivra à Bernard Kouchner encore longtemps, sans doute.