Le cinéma est à l'honneur pour la première fois à la 46e édition du Festival via le nouveau film de Abdelatif Benameur. «J'ai compris que l'histoire officielle des vainqueurs est fausse et laisse peu de place aux détails essentiels qui sont laissés à la mémoire des gens simples et démunis», c'est ainsi que s'exprime en voix off, Shama alias Laïla Ouaz, l'héroïne du film tuniso-algérien Les Palmiers blessés, deuxième coproduction avec l'Algérie du réalisateur Abdelatif Benameur après Aziza. Un film qui a fait, mercredi dernier, l'ouverture de la 46e édition du Festival international de Carthage, le plus ancien des festivals arabes. Notons que la cérémonie fut marquée par la présence du ministère de la Culture du Patrimoine tunisien et du côté algérien et de l'ex-ministre de la Communication, Azzedine Mihoubi. Un signe fort de collaboration bilatérale entre les deux pays frères. L'histoire du film est plantée à Bizerte. Hiver 1991. La guerre en Irak fait rage. Un écrivain tunisien, un sombre personnage brillamment interprété par Naji Najah confie la dactylographie d'un manuscrit autobiographique à une jeune diplômée à la recherche d'un emploi. La bonne de cet homme est aussi interprétée par notre valeureuse Aïda Gechoud dont le personnage est originaire de Sakiet Sidi Youssef. Un choix qui n'est pas fortuit. La belle Shama plonge d'emblée dans l'histoire de cet homme comme un baigneur qui ne sait pas nager. Le passé obscur de sa famille resurgit de l'ombre pour éclabousser son présent flou. Le calme trompeur de cette région rivalise avec la blessure pas encore cicatrisée de l'âme de Shama. Au fil des pages, l'histoire de son père, jadis patriote volontaire, décédé dans les événements de la guerre de Bizerte, le sujet du livre et du film, réapparaît. A Bizerte, Shama fait aussi la rencontre de sa vieille amie Nabila, alias Rym Takoucht et prend en sympathie son mari, interprété par Hassan Kechache dans la peau d'un artiste /musicien désabusé. A travers la dactylographie du manuscrit, Shama découvre peu à peu comment des intellectuels sans scrupules peuvent falsifier l'histoire à des fins de pouvoir et d'honneurs immérités. Quand l'écrivain décide d'arrêter de faire appel à Shama, celle-ci veut comprendre la raison et se lance dans une quête absolue de la vérité qui l'amènera à découvrir la supercherie. Devant ce désir cuisant de connaître la vérité, s'entrecroise la petite histoire faite de rencontres humaines et de plaisir de la vie de tous les jours. Au milieu du chaos qui prévaut dans le monde, une scène formidable, d'autant plus surréaliste dans le film vient apporter un zest de poésie à ce monde qui n'a plus de sens. Le jour de l'anniversaire de shama, le mari de sa meilleure amie ramène ses amis musiciens. Ils sont campés par une pléiade d'artistes tunisiens à l'instar du réalisateur Nouri Bouzid pour évoquer avec acuité le rôle de l'artiste dans la société et son statut à part entière dans la construction de l'identité d'un peuple. La scène rehaussée de musique signée Farid Aouameur -comme l'ensemble des scènes-clés du film -, rappelle un tant soi peu le tragique absurde d'un Emir Kusturika. Sans transition, face à cette forte expression de joie, de vie et d'émotion s'ensuit frontalement l'image de la mort, celle des tombes des milliers de victimes de la guerre de 1961 à Bizerte. Le film passe de la lumière aux ténèbres. Des images d'archives viennent appuyer cette partie violente du film. Mais s'il commence par la vue d'un train qui arrive, il se ferme aussi sur un train qui touche le bout du tunnel... Shama peut enfin respirer, car elle a fini par réhabiliter la mémoire de son père. Si certaines séquences pèchent par un excés mélodramatique, sur un plan technique et esthétique, le film réalise un sans-faute. Abdelatif Benameur gâte ses comédiens qu'il filme avec amour, parfois en plans serrés qui mettent en valeur leur aura et qualité artistique. De jolis plans, qui oscillent entre des cadrages larges et fixes pour établir la distance et amplifier la solitude des personnages ainsi que de gros plans en mouvement et fureur des regards pour signifier la violente tendresse des innocents en quête de bonheur simple. Le film illustre parfaitement cette notion de quête parfois utopique de la vérité. Audacieux et pertinent à plus d'un titre, ce long métrage se veut d'autant plus utile par les vérités qu'il assène. Les Palmiers blessés sortira en salle algérienne à partir du 15 juillet prochain.