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«Des tabous tombent dans Hameau des femmes»
MOHAMED CHOUIKH À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 16 - 04 - 2005

Le cinéaste et acteur nous parle de son dernier film en cours de mixage, évoque le parcours hasardeux du Festival de Timimoun et des perspectives d'avenir pour le cinéma algérien...
Mohamed Chouikh débute sa carrière en tant qu'acteur. C'est le film de Michel Drach Elise ou la vraie vie d'après le roman de Claire Etcherelli qui le révèle au public français. A partir de 1972, il participe à différents tournages et réalise ses premiers films. Aujourd'hui, cinéaste confirmé, son oeuvre riche est indéniablement associée à la société algérienne et son «pouls» d'évolution. L'auteur de la Rupture (1983), Maqam Echahid (1984), la Citadelle (1988), Youcef ou la légende du 7e dormant (1993), ou encore l'Arche du désert (1998), est aussi comédien, notamment dans l'Aube des damnés d'Ahmed Rachedi et René Vautier (1965), le Vent des Aurès de Lakhdar Hamina (1966), Elise ou la vraie vie de Michel Drach (1970)... Il nous parle ici de son nouveau film, Hameau de femmes et revient sur la disparition du Festival du film de jeunesse de Timimoun et évoque aussi l'espoir des cinéastes algériens, notamment dans le cadre de leur participation au Festival de Locarno...
L'Expression : Mohamed Chouikh réapparaît enfin! Vous venez de réaliser récemment un nouveau film intitulé Hameau de femmes. Peut-on en savoir plus?
Mohamed Chouikh : C'est une petite histoire que je raconte. Cela se passe dans un village, un douar isolé quelque part dans un triangle autour d'Alger ou dans ses environs. C'est un douar pauvre, les gens sont démunis. Il n'y a pas de travail. C'est un douar où les hommes sont armés de peur. Ceci est l'installation du décor, sauf qu'il y a une usine qui vient s'installer dans la région et elle demande une main-d'oeuvre féminine pour rouler le couscous. Les hommes, machistes comme ils sont, refusent que leurs femmes s'expatrient du village et vu la misère qu'ils endurent, ils décident de faire un coup d'Etat à leurs femmes et d'aller travailler à leur place. Mais ils ne peuvent pas laisser leurs femmes seules au village, alors ils les entraînent au maniement des armes. Les hommes partent et vont laisser leurs femmes pendant une dizaine de jours seules dans ce village, sous le regard inquisiteur des vieillards pour surveiller les vertus de leurs épouses, pendant leur absence. Le film traite de ce laps de temps où les femmes seules sont armées pendant 10 jours. Et là, il y a beaucoup d'aventures, il y a plein de personnages qui traversent le village et les femmes sont très courageuses...
Le sujet apparaît très original, de quoi vous vous êtes inspiré pour écrire le scénario?
J'ai lu un jour dans la presse l'histoire de paysans qui ont quitté leur douar pour aller travailler, pas loin, en laissant quelques armes à leurs femmes, en attendant de revenir le soir. C'est incroyable ! Une femme se retrouve avec une arme alors qu'elle ne sait pas s'en servir. On lui met une arme dans la main. Que va-t-elle faire? Cela est resté dans ma tête et je me suis dit pourquoi ne pas prendre un sujet comme ça. L'histoire débute dans le film par le départ des hommes. Ces derniers reviennent à la fin du film...
L'idée de donner des armes aux femmes et voir ce qu'il en adviendra et ce qu'il en résultera comparativement aux hommes, les détenteurs des armes, n'est, je pense, pas une idée fortuite...
Tout a fait. Elles prennent conscience de leur nouveau statut quand même. Beaucoup de tabous tombent. Je ne dirais pas la fin du film mais ce qui estintéressant, c'est cette partie que j'ai voulu traiter. Dans la Citadelle, j'avais des femmes désarmées, je me suis dit pourquoi ne pas les armer dans ce film. Comme cela, nous allons voir la différence.
Ici, nous ne sommes plus dans les films réalistes, mais nous touchons du doigt la fiction...
C'est de la fiction mais il y a une ambiance, une pression... Elles sont armées. Elles vivent en huis clos et subissent de multiples pressions dans ce village. Ce qui est intéressant de voir est comment vont-elles réagir face à toutes ces pressions, vont-elles tirer ou ne pas utiliser les armes... Vous verrez cela dans le film.
Comment avez-vous financé le film?
C'est un film qui n'a pas bénéficié de beaucoup de moyens, mis à part le fonds Sud, le Fadtic et la télévision. Ce n'est pas suffisant pour faire un long métrage cinéma en 35 format Dolby... On a jonglé sur la durée. On a fait 6 semaines au lieu de 8 ou 12. Les lieux ont été bien concentrés. On en a fait un maximum sans quitter Alger: Bouchaoui, Baïnem et quelques environs. Ce qui est tout à fait normal en Italie, vous rentrez avec un scénario, vous en sortez avec un film. L'Algérie est un immense studio. Ce qui m'a aidé c'est qu'Alger est un grand douar. Vous sortez du centre-ville et bien vous avez des maisons qui ressemblent à tous les douars du pays.
Quand le film sortira et avez-vous pensé à le présenter dans les différents festivals?
Je voulais être prêt pour Cannes. Malheureusement, nous ne sommes pas prêts. Le film n'est pas terminé. Il se termine dans 20 jours. Je suis au mixage. Mais les festivals, il y en a il faut bien les choisir pour ne pas aller n'importe où. Il faut d'abord faire le festival A puis B ensuite les autres... Il y en a 365 par an.
Quels sont les comédiens auxquels vous avez fait appel ? Avez-vous privilégié de nouvelles têtes?
A part Aïda, Mme Rachedi, Nawel Zaâtar qui sont des actrices connues, j'ai pris la jeune fille qui a joué dans El Manara, Sofia Nouaceur, qui a le rôle principal. J'ai fait appel également au jeune Khaled Benaïssa, aussi d'El Manara, mais je n'avais pas vu ce film. Ce sont des personnes que j'ai rencontrées lors d'un casting. Il y a également Saïd Hilmi dans un rôle un peu à contre-emploi de ce qu'il a l'habitude de faire et il y a des non-professionnels. Cette fois-ci je me suis entouré, j'allais dire, de beaucoup de stagiaires, de beaucoup de filles. J'ai une bonne parité de femmes/hommes dans le film.
Mohamed Chouikh avait annoncé un jour qu'il allait se consacrer de nouveau à son métier de réalisateur et «laisser tomber» le Festival de Timimoun qui commençait à prendre des «tournures» autres que les siennes. Peut-on espérer un jour la relance de ce festival qui avait atteint tout de même sa cinquième édition?
Je n'ai pas laissé tomber le festival. J'étais fatigué. J'étais un Don Quichotte dans le désert avec des vents de sable. Je préfère temporiser, remettre à plus tard et réorganiser un festival de façon plus structurante, parce que j'avais des membres adhérents mais qui sont du Sud. Ils n'ont pas l'habitude. Parfois, je me retrouvais seul. Alors n'en parlons pas des moyens ! Chaque année j'essayais de trouver avec qui je marierai mon festival. Et chaque fois des problèmes surgissaient...Un festival doit avoir son budget. Surtout que j'ai pris le risque de faire tout gratuitement là-bas. Nous n'avons pas de remontée de recette. On ne gagne rien. On ne fait que perdre. Jusque-là ce n'était pas grave. Ce n'était pas l'essentiel. Mais je n'ai pas trouvé en contrepartie au moins des gens, ne serait-ce que sur le terrain, qui disent: «Ah oui, c'est bien pour nos enfants!» Et j'ai tenu à chaque fois. Vous avez remarqué que le festival se déroulait chaque année. Je me suis même écarté de mon métier, de plein de choses que je faisais. En fait, ça prend du temps, un festival. Voyez les gens du Festival de Locarno, cela fait plusieurs mois qu'ils y travaillent, rien que pour monter une section...
Que pensez-vous justement de cette section «Open Doors» qui sera consacrée cette année au cinéma du Maghreb et de cette démarche?
C'est bien. C'est la première fois qu'une institution se déplace dans un pays et donne des informations. Cela peut concerner uniquement les gens qui ont fait des films. Mais qu'importe, car contrairement aux autres institutions qui ont pris de l'argent mais qui ne donnent pas l'information aux Algériens ou qui choisissent certains Algériens en Europe, ce que j'ai appelé : des délits d'initié pour certains, bon nombre de cinéastes n'ont jamais été informés, là, ils sont venus et ils parlent à tout le monde. Ce sont vraiment des portes ouvertes. C'est une bonne chose. C'est une opportunité pour que les cinéastes qui n'ont pas les moyens de se déplacer, puissent le faire ne serait-ce que pour rencontrer des producteurs, parler de leurs sujets... C'est un combat de tous les jours. J'espère que de telles actions vont permettre aux cinéastes algériens de se retrouver, de se regrouper. Personne n'a pu les aider. Il faut que cela soit fait entre eux. Vu la détérioration du cinéma, il est évident, vous avez vu les questions posées qui ne concernent pas les portes ouvertes, parce que dès que quelqu'un arrive, il y a un espoir, soit pour les jeunes cinéastes amateurs, soit pour l'association des cinéastes femmes. Chacun espère quelque chose. Il faut multiplier ce genre de situations.


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