L'exil d'El Hasnaoui serait motivé par le souci d'oublier les déconvenues du passé et les misères de l'enfance. Rencontré jeudi dernier sur la terrasse d'un café de Tizi Ouzou, Lounès Kheloui, l'un des noms qui comptent dans la chanson kabyle, a accepté de s'exprimer pour la première fois sur sa rencontre avec Cheikh El Hasnaoui. L'entrevue s'est déroulée en 1977 à Nice. Lounès voulait rencontrer le maître de la chanson kabyle mais aussi l'enfant de son village, les deux artistes étant issu du même hameau: Tadart Tamokrant, dans la région d'Ihesnawen. «Lorsque je l'ai vu devant moi et après notre discussion, j'ai découvert qu'El Hasnaoui, la personne, était plus grande que l'artiste. Il avait une façon de parler exceptionnelle. Son lexique dans les trois langues était riche. Ses phrases étaitent émaillées de proverbes», souligne Lounès Kheloui. Ce dernier nous confie que la maison d'El Hasnaoui était toute modeste. Il n'avait ni télévision ni ventilateur chez lui. «Il était très triste et il m'avait transmis des tas de confidences sur sa vie», ajoute Lounès Kheloui. Lors de leur rencontre, les deux artistes n'ont pas du tout parlé de la chanson. Notre interlocuteur nous a indiqué qu'El Hasnaoui ne suivait pas du tout ce qui ce passait dans le monde de la chanson kabyle et qu'il ignorait même les noms des chanteurs les plus célèbres de l'époque. En revanche, le maître lui a parlé du village et des raisons de sa colère éternelle. Il a particulièrement évoqué son enfance douloureuse: «Ma mère est décédée au moment où j'ai vu le jour, et mon père est mort à Alger dans sa barque quand j'étais dans le ventre de ma mère», aurait révélé El Hasnaoui à son hôte. El Hasnaoui a aussi vécu la faim dans sa tendre enfance, sans oublier l'insurmontable carence affective. L'histoire d'amour qu'on lui a attribuée serait complètement infondée, d'après Lounès Khelloui. La rencontre a permis aussi à ce dernier de découvrir combien l'exil faisait souffrir El Hasnaoui. Il lui en a parlé longuement. Pourquoi alors le cheikh n'était pas revenu pour échapper aux affres de l'émigration? A cela, y avait deux raisons principales. D'abord, la douloureuse page du passé qui était encore béante. El Hasnaoui a aussi évoqué le fait qu'il n'avait aucune attache en Kabylie, ni famille, ni maison, ni terre, encore moins de bons souvenirs. L'exil d'El Hasnaoui était donc motivé par le souci d'oublier les déconvenues du passé et les misères de l'enfance. Mais l'exil s'est avéré pire que tout, comme l'illustre cet extrait d'une lettre qu'il a adressée à Lounès Kheloui après que ce dernier lui eut envoyé des photos de sa maison au village: «Merci pour les photos que tu m'as envoyées car cela fait cinquante ans que je n'ai pas vu ces belles images. Dommage, le destin m'en a éloigné. En réalité, le pain que l'on gagne dans sa patrie pauvre a de l'honneur et le pain que l'on gagne chez l'ennemi, c'est la honte et le déshonneur. J'espère que cette leçon de morale servira à tous les Kabyles...».