On ne peut donc parler d'exclusion concernant le Cheikh, car la reconnaissance n'est pas forcément celle des officiels. En décidant de rendre hommage à Cheïkh El Hasnaoui, l'association «Issegman» a sans doute un grand mérite. L'hommage intervient à point nommé puisqu'il est accompagné d'un livre où sont recueillis et traduits les poèmes de l'artiste de l'exil. L'association «Issegman» a aussi fait un effort, afin de rassembler un éventail de conférenciers à même de revisiter l'oeuvre de l'un des chanteurs les plus discrets. De son vivant déjà, El Hasnaoui était un mythe. Sa poésie est simple mais particulière, au point de briser des tabous, notamment dans la poésie d'amour. Certains de ses textes ont été jugés osés. Ils ont été censurés de la radio, morale oblige. El Hasnaoui n'a pas seulement une belle voix, mais aussi une voix particulière. Ce sont tous ces axes que tentent d'expliquer des conférenciers, depuis samedi dernier, à la Maison de la culture «Mouloud-Mameri». Beaucoup de jeunes ont été surpris de découvrir des chansons aussi mélodieuses. La rencontre sur El Hasnaoui a été une autre aubaine pour faire le point de situation peu reluisante dans laquelle se trouve la chanson kabyle depuis 1998. L'émergence d'un genre nouveau appelé communément «le non-stop» a freiné l'avancée de la chanson thématique. La nouvelle génération de jeunes exprime peu d'intérêt quand il s'agit de chansons profondes, car, hormis Lounès Matoub, qui a su suivre l'évolution des mentalités dans sa société et réadapter à chaque fois ses oeuvres, de nombreux artistes sont restés otages des convenances. El Hasnaoui a tout même réussi à garder une place respectable auprès du public. En dépit du fait qu'il ne la passe jamais à la Radio, il n'en demeure pas moins qu'il a bénéficié de centaines d'articles dans les journaux. Une série d'articles a été proposée par Rachid Mokhtari sur la vie, l'oeuvre et la poésie d'El Hasnaoui. Cet auteur a même publié un livre sur le chanteur de Taâzibt. D'autres chercheurs et journalistes se sont beaucoup intéressés à El Hasnaoui, comme Mehenna Mahfoufi. Ce dernier a eu le privilège d'être accueilli par El Hasnaoui chez lui. On ne peut donc parler d'exclusion concernant El Hasnaoui car la reconnaissance n'est pas forcément celle des officiels. Celle des chercheurs et du public est, de loin, plus importante. Parce qu'il a composé des chansons d'amour immortelles, El Hasnaoui a intéressé des jeunes, même si son public est beaucoup plus qualificatif que quantitatif, comme nous l'avons constaté lors de notre visite, hier, aux stands de la Maison de la culture. Le visiteur peut observer la non-disponibilité de beaucoup de photos. Pourtant, un artiste de la trempe d'El Hasnaoui mérite d'être mieux présenté. Mais la faute n'incombe surtout pas aux organisateurs. Car pour exposer des photos, il faudrait que ceux qui les détiennent les mettent à la disposition des exposants. En ce sens, le mérite d'un archiviste, en l'occurrence Mohamed Chami, de la région d'Aït Yenni, est indéniable. Ce dernier a mis à la disposition des visiteurs un nombre considérable d'articles ayant une relation avec le parcours d'El Hasnaoui. Cheikh El Hasnaoui s'appelle réellement Si Moh N Amar U Moh. Il est né le 23 juillet 1920 sous le nom patronymique de Mohamed Khelouat au village Taâzibt à 9 km de Tizi Ouzou. Sa mère meurt après avoir perdu deux de ses enfants. Son père est enrôlé par l'Armée française durant la Première Guerre mondiale. El Hasnaoui se retrouve seul. Il part à Alger. C'est au contact de l'école coranique que son don pour la chanson s'exprime pour la première fois. Adolescent, il exerce de petits métiers. Il se frotte à El Anka et Cheikh Nador. Il anime plusieurs soirées en kabyle et en arabe. En 1936, il revient pour la dernière fois dans son village natal à Tizi Ouzou. Il se rend à Paris. C'est à l'île de la Réunion qu'il finit ses jours avec sa femme Denise. A l'instar de la majorité des aèdes kabyles ayant marqué leur temps, il mourut sans descendance. El Hasnaoui a composé au total 74 chansons dont 37 en kabyle.