Il n'y a pratiquement pas une seule ruelle ou rue animée des grandes villes d'Algérie, y compris les espaces publics, où l'on ne croise, au moins, une personne qui fasse la manche. «Que Dieu vous protège», «Que Dieu vous protège vous et vos enfants...» Ce sont des mots de ce type qui forment le lexique d'usage de tous les mendiants qui sollicitent l'aumône. Ils sont récités comme des litanies. Le temps d'accrocher les éventuels pigeons. Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute. L'adage n'a jamais été autant d'actualité. les gogos ne manquent pas et les crédules aussi, dès que la fibre de cette espèce de croyance qui nous est parvenue de la nuit des temps est agitée. Elle consiste par les temps qui courent à accomplir sa bonne action pour commencer positivement sa journée en ayant la ferme conviction de s'être attiré la bénédiction de ces «laissés-pour-compte» qui ont la réputation de jouir d'un pouvoir surnaturel. Une bonne parole contre une petite pièce de monnaie cela ne coûte pas cher pour se mettre psychologiquement d'aplomb et affronter un quotidien qui se fait de plus en plus implacable. Pour ceux qui bénéficient de cette contrepartie financière, car il faut le souligner que seules des pièces de monnaie sonnantes et trébuchantes sont acceptées. Et comme au Loto, il paraît que cela rapporte gros, même très gros. Presque tout le monde en parle. Si certains préfèrent ignorer la supercherie probablement pour perpétuer la tradition dans cet espace manichéen réduit que forment le bien et le mal, beaucoup d'autres la dénoncent explicitement sans détour et avec vigueur. «Vous savez, monsieur, la mendicité est devenue un métier, qui peut rapporter gros et la plupart de ceux qui la pratiquent ne sont nullement dans le besoin», nous a répondu un analyste du comportement social qui nous a donné son avis sur la question. La stratégie est bien huilée. Des femmes parfois très jeunes jonchent les trottoirs avec de jeunes enfants sales et mal habillés dans leurs bras. Sans doute pour rendre plus vraisemblables leur condition. «Ce sont des enfants qui sont loués à la journée» nous a confié Saïd, un fonctionnaire de police qui, en la matière, connaît la musique depuis belle lurette. Nos oreilles ont du mal à le croire. Le stratagème semble pourtant bien réel. Certaines familles n'hésitent pas à mettre sur le macadam leurs handicapés qu'elles déposent le matin et qu'elles récupèrent en fin de journée, avec des voitures rutilantes. Un manège que nous avons pu observer à Bejaia, à côté d'une école, dans le quartier très fréquenté d'El-Khmiss. Pour les cas de ce genre, les recettes peuvent atteindre quelques milliers de dinars. Ces «négriers» des temps modernes possèdent plusieurs biens (maisons, voitures...) grâce à ce type de revenus mal acquis au vu et au su de tout le monde. Ce genre de métier a élargi depuis sa panoplie. De jeunes enfants mendient en frappant aux domiciles de personnes privées, d'autres n'hésitent pas à franchir la porte de bars. Les consommateurs sous l'effet de l'alcool, se montrent souvent très généreux. Force est de constater que l'espace public algérien n'est pas uniquement pollué par une dégradation permanente de l'environnement, notamment en matière d'hygiène et essentiellement celui du ramassage d'ordures. Parmi les activités les plus lucratives qui ne nécessitent aucun effort, pour se mettre à l'abri du besoin et bénéficier d'une certaine aisance matérielle, sauf celui de s'exposer au regard d'autrui en faisant fi de toute dignité, la mendicité figure en bonne place. Quelles sont les catégories de personnes qui s'adonnent à ce type d'exercice? Sans distinction de sexe ni de catégories d'âge, on retrouve pratiquement autant d'hommes que de femmes, jeunes et vieux qui tendent la main pour collecter des pièces de 5, 10 et 20 Dinars qui se transforment en fin de journée en billets de banque. Au même titre que la délinquance, les pouvoirs publics sont plus que jamais interpellés sur ce fléau qui, en plus de s'être imposé, est toléré. La mendicité qui a été éradiquée dans les années soixante-dix refait peau neuve. Un signe incontestable de la détérioration du tissu social urbain qui met en exergue des contrastes indéniables entre la modernisation en marche d'une société en pleine mutation et les comportements archaïques qui tendent à la compromettre.