«Les mots sont aujourd'hui des batailles: les mots justes sont des batailles gagnées, les mots faux sont des batailles perdues.» Ludendorff, général allemand, mort en 1937 De la menace sarrasine évoquée par la Chanson de Roland, texte fondateur de la littérature française, au péril islamiste dénoncé par la doxa occidentale et les médias mainstream: toute une littérature effrayante. Il est surprenant de constater que son regard porté sur l'Islam, lui, n'a pas changé. Il en résulte un discours empreint de préjugés millénaires. De l'expression «gentem perfidam sarracenorum» (la nation perfide des sarrasins), utilisée par l'Eglise omnipotente dans la première moitié du VIIIe siècle en Occident, à l'étiquette «les Arabes, peuple brigand» écrit par Montesquieu dans De l'esprit des lois, les Arabes synonymes de musulmans chez les Occidentaux, sont perçus comme étant un danger pour le monde chrétien. Plusieurs siècles après, ce discours n'a pas pris un pli. Barbarie, fatalisme, archaïsme, terrorisme. Autour de quelques idées fortes en «isme», la représentation occidentale des musulmans semble figée à travers les temps. Au contraire, l'Islam le tiers exclus de la révélation abrahamique a donné à la coalition «judéo-chrétienne» le magistère moral pour diaboliser les musulmans. Le Sarrasin est remplacé par le terroriste. Triste représentation. Un exemple? le tollé général des bien-pensants en Occident concernant les velléités d'une Association américaine de construire une mosquée à quelques pâtés de maisons de «Ground Zéro», ancien emplacement des twins towers détruites le 11 septembre 2001. Revenons à la signification de la mosquée. La mosquée est le lieu de culte des musulmans. Le mot qui la désigne: Masdjid serait un mot sémitique ayant à la fois le sens de temps et d'oratoire. Ce mot se retrouve dans le Coran qui parle de Jérusalem comme étant «El Mesdjed El Aqsa», (Coran: sourate 17,verset 1). Il est aussi évoqué à propos de la Kaâba «Al Mesdjed El Haram», l'oratoire sacré. A l'origine, l'Islam n'éprouva pas le besoin de disposer d'un lieu de culte spécifique. Dans un hadith rapporté par El Boukhari, le Prophète (Qsssl) déclare qu'il a reçu la terre entière comme Mesdjed. A titre d'exemple, Lacheraf parle de l'acculturation des communautés et de la place des religions dans sa petite ville de Sidi Aïssa. Ecoutons-le: «...Et puis, l'école officielle du village de Sidi-Aïssa était une école dite ´´indigène´´ où il n'y avait pas un seul élève européen mais une grande majorité d'élèves musulmans en même temps qu'une douzaine de petits israélites parlant l'arabe comme leur langue maternelle et fortement arabisés dans leurs genres de vie. (...) Peut-être que la mode religieuse n'était pas, à l'époque, pour le "m'as-tu vu" et le côté spectaculaire de la simple pratique, de l'observance rituelle exagérée comme aujourd'hui, car, dans ce centre villageois pourtant bien situé et peuplé d'habitants à la spiritualité mystique ou monothéiste affirmée, il n'existait ni mosquée officielle, ni église, ni synagogue connue édifiée en tant que telle.»(1) La mosquée, un lieu de rencontre et de savoir En clair, le musulman peut faire sa prière n'importe où, là où il est surpris par l'heure de la prière. Point de clergé et de decorum. C'est dire que la prière a plus d'importance que le lieu dans laquelle elle se déroule. D'ailleurs, la mosquée de Médine servit au début de lieu de réception de délégation étrangère. On rapporte même que le Prophète (Qsssl) autorisa une tribu arabe chrétienne: les Nadjranites à prier dans la mosquée. La mosquée de Médine servit aussi de refuge aux pauvres de la ville, et aussi comme lieu de discussion et d'échange. Au cours des siècles, la mosquée sera de plus en plus sacralisée; les musulmans ne pouvaient y accéder qu'en se déchaussant et en se purifiant. Elle devait rester en principe un havre de paix et de concorde. La Khotba devait, selon la tradition, être courte pour ne pas fatiguer le Croyant et lui permettre d'aller vaquer à son travail, c'est-à-dire selon le Coran: «aller se répandre sur la terre». Dès l'Occident médiéval l'Eglise, déniant à l'Islam d'être une religion abrahamique, ne met pas la prière en Islam sur le même plan de celle de l'Eglise, aussi désignant les lieux de prière musulmans elle parle de mahomerie impliquant par là que ce culte n'a rien de divin, il est l'oeuvre d'un homme: Mohammed. Pourtant, Il est indéniable donc que dans la religion musulmane, le spirituel et le temporel sont de fait en étroite symbiose. C'est dès le départ une profession de foi de tout Musulman. On rapporte que le Prophète, Que le Salut Soit sur Lui, libérait les prisonniers qui n'avaient pas les moyens de payer le prix de leur libération, en leur demandant seulement d'instruire chacun 10 Musulmans. Chaque mosquée est une école en puissance, qui forme aux missions spirituelles et temporelles. Le nombre si élevé de mosquées à Alger (176) a été la cible de la colonisation et explique l'hécatombe de démolition opérée par le pouvoir colonial. Trente ans après le début de l'invasion coloniale, il n'existait à Alger qu'une douzaine de mosquées. Pour en revenir au projet de construction d'une mosquée non loin du site des attentats du 11 septembre 2001. Malgré l'aval de Michael Bloomberg, maire de New York, et le vote favorable de la commission municipale en charge du patrimoine, le projet de construction d'un centre culturel musulman à proximité de Ground Zero, suscite de nombreux débats outre-Atlantique. Le bâtiment, baptisé par les médias américains «la mosquée de Ground Zero», a été conçu à l'image des YMCA -Young Men's Christian Association-, centres culturels chrétiens très populaires aux Etats-Unis. Ce projet traînait depuis quelques années dans la tête de Feisal Abdul Rauf, qui prêche depuis la fin des années 1980 un islam soufi modéré dans une mosquée non loin de Ground Zero. Dans son livre publié en 2004, Ce qui est bon pour l'islam est bon pour l'Amérique, l'imam explique que les Etats-Unis représentent la ´´société islamique idéale´´ car ils autorisent la liberté de religion. Chargé par l'administration Bush de missions au Moyen-Orient pour aller répandre cette image positive et tolérante de l'Amérique. L'imam, écrit Adèle Smith, qui bénéficie de nombreux soutiens, y compris dans la communauté juive, est le fondateur de la «Maison Cordoba». L'association, dont le nom fait référence à la cité médiévale espagnole où vécurent ensemble pendant 800 ans juifs, arabes et chrétiens, affirme avoir pour mission de «promouvoir le dialogue interreligieux». Le projet de construction d'un complexe islamique, estimé à 100 millions de dollars, comporte un immeuble de 13 à 15 étages avec un lieu de prière pour les musulmans, un auditorium de 500 places, une piscine et un restaurant. La très influente Ligue antidiffamation de lutte contre l'antisémitisme a qualifié le projet de «choquant» car trop près du site de l'attentat, considéré par beaucoup comme «sacré».(2) Après avoir évité pendant des semaines ce sujet de controverse, Barack Obama s'est finalement prononcé en faveur de la construction d'une mosquée près de Ground Zero. «En tant que citoyen, en tant que président, je crois que les musulmans ont autant le droit de pratiquer leur religion que quiconque dans ce pays», a déclaré vendredi Barack Obama lors d'un repas de rupture du jeûne du Ramadhan organisé à la Maison-Blanche. «Cela inclut le droit de construire un lieu de culte et un centre socio-culturel sur un terrain privé dans le lower Manhattan, en respect des lois et décrets locaux», a-t-il ajouté devant une centaine d'invités. «Nous sommes en Amérique», a insisté le chef de la Maison- Blanche. «Notre engagement en faveur de la liberté de religion doit être inébranlable.»(3) Le soutien de Barack Obama Deux écoles de pensée tout aussi légitimes l'une que l'autre s'affrontent nous dit Ross Douthat. Il y a dit-il «une Amérique où la fidélité à la Constitution l'emporte sur les différences ethniques, les barrières linguistiques et les clivages religieux. Une Amérique où le nouveau venu est aussi américain que l'arrière-petite-fille des Pères pèlerins. Mais il y a aussi une autre Amérique, une Amérique qui se voit comme une culture unique plutôt que comme un ensemble de règles politiques.(...) Elle se reconnaît dans un héritage religieux en particulier: le protestantisme à l'origine, et à présent dans un consensus judéo-chrétien intégrant aussi les juifs et les catholiques. Cette Amérique attend des nouveaux venus qu'ils adoptent ces règles, et vite. Ces deux conceptions de l'Amérique, l'une constitutionnelle et l'autre culturelle, ont été en tension tout au long de notre histoire».(4) Sans surprise, la première Amérique considère le projet comme l'expression parfaite des nobles idéaux de notre pays. «Nous sommes en Amérique», a scandé le président Obama le vendredi 13 août, «et notre attachement à la liberté religieuse doit être inébranlable.» La deuxième Amérique n'est pas de cet avis. Elle voit ce projet comme un affront à la mémoire du 11 septembre 2001 et comme un signe de manque de respect pour les valeurs d'un pays où l'Islam n'est entré dans les consciences que récemment. Mais derrière ces inquiétudes se cache le soupçon que l'Islam est incompatible avec le mode de vie américain.(4) Ian Gurvitz s'interroge quant à lui, sur la nécessité d'une mosquée à Ground Zéro. Il renvoie dos à dos les partisans et les contempteurs du projet. «Il ne s'agit pas écrit-il, de savoir s'il faut ou non autoriser une association à construire une mosquée-centre culturel si près de Ground Zero, mais de savoir pourquoi elle veut le faire. Même si l'on soupçonnait les auteurs du projet d'être animés des pires intentions - de vouloir porter l'insulte à son comble -, en quoi l'insulte pourrait-elle atteindre le degré des souffrances subies? (...) Si l'on accepte le principe que la compassion est à la base de toutes les traditions religieuses, et si l'intention même partielle de ce projet est de tendre la main aux victimes, de leur montrer de la compassion, eh bien ce n'est tout simplement pas très compassionnel. Si les gens à l'origine du projet tenaient sincèrement à révéler la vraie nature de l'Islam, pourquoi le faire avec un édifice?(...)»(5) Redoutant les retombées politiques d'une levée de boucliers après ses propos défendant le droit de bâtir une mosquée près de Ground Zero, Barack Obama a rapidement cherché à limiter les dégâts, notamment après les forts remous enregistrés samedi aux Etats-Unis. «Je ne m'exprimais pas, et je ne m'exprimerai pas sur le bien-fondé de prendre la décision d'installer une mosquée là-bas.» «Je m'exprimais très spécifiquement sur le droit que les gens ont, et qui date de la fondation.» (..) Le plaidoyer passionné pour la liberté de culte, dans lequel il s'était engagé à restaurer les liens de son pays avec le monde musulman, Barack Obama a affirmé vendredi à l'occasion d'un repas de Ramadhan à la Maison-Blanche que «les musulmans ont le même droit de pratiquer leur religion que quiconque dans ce pays». A l'opposé du tollé, l'éditorialiste du célèbre hebdomadaire international Newsweek Fareed Zakarya, a pris nettement position en faveur du projet de mosquée géante près du WTC. Dans son éditorial du 16 août, il fustige très durement l'Anti-Deafamation League (principal lobby antiraciste du pays de la communauté juive) qui s'est positionné contre le délirant projet. Ce positionnement, écrit Jooachim Véliocas, se construit sur une argumentation légère, celle de la supposée modération de l'imam pilotant le projet, au prétexte qu'il a condamné le terrorisme...même si il s'est toujours refusé à condamner le Hamas. (..) Candide, Zakarya a été enthousiasmé par le dernier livre de l'imam Rauf, celui-ci se félicitant que la promotion de la diversité permette l'épanouissement de l'Islam: «His last book, what's right with Islam is What's Right With America, argues that the United States is actually the ideal Islamic society because it encourages diversity and promotes freedom for individuals and for all religions»6) En définitive, nous ne pouvons pas ne pas militer pour la paix et au risque d'être redondant, il est bon de rappeler les périodes d'entente entre les deux grandes religions. A titre d'exemple, il est indéniable que l'esprit de tolérance qui a animé les souverains musulmans a permis à toutes les spiritualités des autres religions de s'épanouir à l'ombre de l'Islam. Ainsi à Béjaïa, l'histoire rapporte que le souverain avait demandé au pape de nommer un évêque à Béjaïa sa capitale, pour sa petite communauté chrétienne dont le prêtre était mort. On sait la signification que revêt dans l'histoire des relations entre l'Islam et le Christianisme, la célèbre lettre du pape Grégoire VII écrite de sa main au Souverain hammadite Al Nacir: Votre Noblesse nous a écrit cette année pour nous prier de consacrer évêque, suivant les constitutions chrétiennes. Le Dieu Tout-Puissant qui veut que les hommes soient sauvés et qu'aucun ne périsse, n'approuve en effet rien davantage chez nous que l'amour de nos semblables, après l'amour que nous lui devons, et que l'observation de ce précepte: «Faites aux autres ce que vous voudriez qui vous fût fait». «Nous devons, plus particulièrement que les autres peuples, pratiquer cette vertu de la charité, vous et nous qui, sous des formes différentes, adorons le même Dieu unique, et qui chaque jour louons et vénérons en lui le créateur des siècles et le Maître des mondes....»(7) Il serait curieux de connaître la position sur cette affaire de mosquée. Sur le site Agoravox Phileas qui déclare ne peut pas comprendre pourquoi à «Ground zero», y voit une manipulation de l'administration (...) Je ne pense pas qu'une mosquée dans ces lieux soit l'endroit le plus propice pour apaiser les esprits. (...) En d'autres termes, les dirigeants américains ne seraient-ils pas en train d'envoyer quelques signaux subliminaux tout sourire, vers des pays comme le Pakistan, l'Arabie Saoudite, l'Egypte, ou les pays de la région du Maghreb, pour mieux préparer une attaque sur l'Iran qui paraît de plus en plus inéluctable et qui ne ferait pas que des victimes militaires?(8) A Dieu ne plaise, cette hypothèse est porteuse de toutes les horreurs. Le lieu choisi peut, de notre point de vue, réveiller des douleurs du fait de la doxa occidentale qui attribue à l'Islam la destruction des WTC. Peut-on être oecuménique et penser en termes de tolérance à un temple où les religions des trois monothéïsmes pourraient venir prier? Pourquoi pas à l'emplacement de Ground Zéro? Je suis sûr que les hommes de bonne volonté pourraient se reconnaître dans cette utopie. (*) Ecole nationale polytechnique 1.Mostefa Lacheraf: Des noms et des lieux. p. 19-30. Editions Casbah 1998. 2.Adèle Smith Un projet de mosquée à: Ground Zero divise l'Amérique 04/08/2010 3.Obama défend le projet de mosquée près de Ground Zero Le Figaro.fr 14/08/2010 4. Ross Douthat Une mosquée, deux Amériques The New York Times17.08.2010 5.Ian Gurvitz A quoi bon une mosquée à Ground Zero? The Huffington Post11.08.2010 6.Joachim Véliocas, 17.08.2010 http://www.islamisation.fr/archive/2010/08/17/newsweek-defend-mordicus-la-mosquee-de-ground-zero.html 7.Mas Latrie: Relations et commerce de l'Afrique septentrionale ou Maghreb avec les nations chrétiennes Paris. p.42-43. (1886). 8.Phileas Agoravox: Une mosquée près de ´´Ground Zero´´? 17 août 2010