Aujourd'hui, on obtempère plus facilement à un ordre donné par un imam qu'à l'injonction d'un représentant de l'Etat. La suprématie du religieux sur le politique est devenue une réalité patente et rudement éprouvée dans les sociétés musulmanes. «Avant, les musulmans ne se connaissaient pas entre eux. Ils s'imaginaient. Ce n'est plus le cas maintenant avec l'avènement de l'image. Ils se connaissent et cela leur donne une impression de force...», analyse l'éminent sociologue algérien Ali El Kenz. Autrement dit «l'Islam se mondialise», fait-il constater lors d'une rencontre-débat organisée dimanche soir à la librairie Socrate dans le cadre des soirées ramadhanesques des Miles et Une News, initiées par le quotidien Algérie News. L'individu en Algérie comme dans les sociétés à tradition musulmane, a tendance à obéir aux règles religieuses plutôt qu'aux règles juridiques bien déterminées par l'Etat. Les exemples ne manquent pas, ils sont d'ailleurs fort nombreux. Ali El Kenz a évoqué, entre autres, la nouvelle polémique alimentée par la volonté d'une association de construire une deuxième mosquée à Aghribs, un village en Kabylie, l'affaire des imams qui ont refusé de saluer l'emblème national ou encore l'intervention d'un imam dans une affaire de vol d'une municipalité, en faveur du malfaiteur. «L'allégeance à l'Etat devient secondaire à l'allégeance à la religion», a-t-il affirmé. Cette situation donne lieu à des conflits d'allégeances à l'intérieur même des sociétés musulmanes. «Les conflits d'allégeances ont créé un trouble et un désordre au sein des sociétés musulmanes d'une manière globale.», note-t-il. Aussi, on assiste actuellement non à un choc de civilisations, comme l'a «prédit» l'Américain Samuel Huntington, mais à un choc au sein même de la civilisation musulmane. Selon El Kenz, le fondamentalisme, l'intégrisme ou la violence religieuse sont justement dûs à ce carambolage d'allégeances et de repères. «La force des croyances religieuses vient combler le déficit des croyances politiques», ajoute-t-il encore. Aujourd'hui, on se plie facilement devant une fatwa que devant une règle dictée par le droit moderne. On obtempère aisément à un ordre donné par un imam qu'a l'injonction d'un représentant de l'Etat. Il précisa néanmoins que «dans toutes les sociétés, il y a une part du mythe et de la raison». Ceci n'est donc pas une caractéristique des seules sociétés musulmanes. Ali El Kenz regrette, par ailleurs, l'absence de lieux de discussion et de dialogue au sein de la société algérienne. Pour lui, se sont ces espaces qui peuvent contribuer «à la création de ce tissu qui va rendre possible ce parallélisme entre les croyances et amener leur coexistence». Dans son intervention, Ali El Kenz a également suggéré l'instauration d'un système qui sépare le séculier. Par la sécularisation, il faut entendre une séparation de l'espace privé de l'espace public et non adversité. Ce sociologue préfère ne pas user du mot, largement plus utilisé pour désigner ce genre de système: laïcité. Il précisa que celui-ci est surchargé de connotations et de confusions.