Entretien réalisé par Samir Azzoug LA TRIBUNE : Dans le colloque international sur la tolérance en islam organisé par le Haut Conseil islamique, on a l'impression que les sujets délicats ont été évités. Qu'en pensez-vous ? Dr Azzedine Gaci : C'est un sujet important, d'actualité et très difficile à traiter. Il y a une véritable marchandisation des religions, particulièrement pour l'islam. Beaucoup de non-musulmans nous voient comme des fondamentalistes, obscurantistes et même terroristes à cause de ceux que j'appelle les professionnels de la peur, des journalistes et politiques qui s'évertuent à opposer les communautés entre elles. Nous sommes conscients de cela. C'est pouquoi on travaille beaucoup avec nos frères chrétiens, moins avec les juifs à cause du conflit israélo-palestinien, pour trouver des solutions. C'est un effort qui nécessite énormément de patience, de culture et de connaissances. Il existe une véritable volonté de dialogue entre religions pour ne pas tomber dans un clash de civilisations. Beaucoup de choses bougent dans les sociétés occidentales et c'est un effort qui doit être accompli par tout le monde. Vous dites que beaucoup de choses bougent dans les sociétés occidentales. Comment cela se manifeste-t-il ? Aujourd'hui, on recense plus de 20 millions de musulmans en Europe. On est 6 millions en France ce qui représente 10% de la population. L'islam se développe en France. Le profil des Français nés de l'émigration a changé. Maintenant, il y a beaucoup de chercheurs, d'universitaires et de médecins musulmans. La nouvelle génération est consciente du danger, connaît ses droits et est parfaitement intégrée. On est français de confession musulmane et très fiers de nos origines. Je suis fier d'être algérien et de ce qu'a fait mon pays et, dans ce sens, nous constituons une véritable passerelle entre les deux cultures. Une organisation est en train d'être mise en place. Il se construit ou se restaure un lieu de culte par semaine en France et, fait nouveau, des aumôneries sont accomplies au niveau des hôpitaux, des prisons et dans les rangs de l'armée. Les atteintes aux lieux de culte sont devenues fréquentes en France. Comment réagissez-vous ? Il y a une montée de la xénophobie et de l'islamophobie, c'est un véritable problème. Depuis 2005, 14 incendies ou tentatives d'incendie sur un lieu de culte musulman ont été recensés en France. Nous sommes en contact avec le procureur général pour la mise en place d'une «cellule de suivi des actes islamophobes», comme cela existe pour la communauté juive. Faites-vous partie de ceux qui prônent un islam de France ? Je suis de ceux qui appellent à ça. En dehors du problème de l'appellation, l'essentiel est : qu'est-ce qu'on met dans cet islam ? Il y a un grand nombre de courants islamiques. Deux se dégagent particulièrement. Le courant de lecture littérale des textes dont les adeptes veulent vivre comme au temps du Prophète (QSSSL), c'est leur droit et je respecte, mais ils n'ont pas à me l'imposer. L'autre, dont je fais partie, est prôné par les réformateurs qui proposent une lecture contextualisée et circonstanciée des textes. Il s'agit d'essayer d'adapter ces textes en fonction des réalités sociales sans remettre en cause les fondements. La fatwa est une loi circonstancielle qui évolue selon l'espace, le temps, l'état d'esprit, les us, les traditions… A travers l'islam de France on propose en fait une école de pensée. Ne pensez-vous pas que l'une des raisons du malaise interreligieux est l'absence d'un porte-parole unique et représentatif de la communauté musulmane dans le monde ? Il est vrai que l'absence d'une autorité unicéphale est une contrainte. Actuellement, il y a deux académies de conseil juridique, une à La Mecque et l'autre à Djeddah, c'est déjà une avancée. Mais il y a des circonstances où les musulmans doivent parler d'une seule voix. Et je suis contre les fatwas individuelles, «l'ijtihad» (effort de réflexion) doit être collectif en ce sens que les spécialistes, religieux, universitaires, sociologues doivent être associés. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez en France ? Il y a un véritable problème de formation des imams. Sur 1 500 imams, la plupart ne maîtrisent pas la langue française et encore moins les données culturelles et sociales. Alors que 25% de la population carcérale est d'origine musulmane et, sur 640 aumôniers, seuls 64 sont musulmans. C'est un déficit en qualité et en nombre. Il faut une véritable formation qui assure aux imams une compétence parfaite des textes et contextes. S. A. L'ONU adopte une résolution contre la diffamation des religions Le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU a adopté jeudi dernier une résolution contre la diffamation des religions, proposée par l'Organisation de la conférence islamique (OCI). Le texte, présenté par le Pakistan au nom de l'OCI, a été adopté par 23 voix contre 11 et 13 abstentions. La résolution fait état de la «vive inquiétude concernant les stéréotypes négatifs, la diffamation des religions, les manifestations d'intolérance et de discrimination en matière de religion ou de croyance, toujours nombreux dans le monde». «L'islam est à tort fréquemment associé à des violations des droits de l'Homme et au terrorisme», souligne le texte, qui appelle les pays membres de l'ONU à «combattre la diffamation des religions et l'incitation à la haine religieuse en général», notamment dans les médias. La résolution stipule en outre que «la diffamation des religions constitue une grave atteinte à la dignité humaine menant à des restrictions de la liberté religieuse de ses adeptes et une incitation à la haine religieuse et à la violence».