Il semble que l'heure de la mondialisation sonne le temps de la tribalisation. C'est du moins, l'opinion soigneusement élaborée d'Ahmed Benali dans son ouvrage intitulé La tribalisation par la mondialisation (*). Cet ouvrage, de format 11x18 et au texte dense et serré, est publié dans la collection Approches, animée par Mustapha Madi. Le souffle de l'auteur Ahmed Benali est puissant, l'argumentation impétueuse et plaide au fond: «Cet essai, lit-on en conclusion, n'a qu'une ambition, celle d'apporter une contradiction objective au triomphalisme arrogant de la pensée unique et de participer à briser l'embargo médiatique sur les critiques de la mondialisation». On lit encore: «Nous vivons en temps réel l'emprise mondiale d'un totalitarisme économique au nom des valeurs décrétées (c'est l'auteur qui souligne) universelles (démocratie, droits de l'Homme, liberté des cultures, économie de marché). A ce rythme de développement de la mondialisation, les valeurs (c'est l'auteur qui souligne) qui seront dominantes sont la pauvreté, la misère, les maladies contagieuses et les guerres civiles.» La mondialisation serait-elle «Une malédiction»? Pour frapper les esprits, Benali n'hésite pas à recourir à un très beau poème en prose de Jabran Khalil Jabran (1883-1931) dont les oeuvres en général ne ménagent pas la société libanaise de son époque. - le dernier vers de ce poème est «Malheur à la nation dans laquelle chaque tribu agit en nation.» Au reste, notre auteur avertit, sans ambages: «Il est encore temps de repenser autrement le développement global en plaçant le citoyen (c'est Benali qui souligne) au centre des préoccupations politiques et non dans leurs périphéries médiatiques. Demain, il sera trop tard.» Et, redoutant la mondialisation par la tribalisation, il avance plusieurs points pour démontrer que «l'uniformisation à l'échelle mondiale des valeurs occidentales est un non-sens sociologique, culturel, social, historique, religieux et politique et un suicide collectif psychologique». Les «causes partagées» par les différentes classes, les différentes corporations, les différentes tendances politiques, le syndicalisme catégoriel, les frondes des chômeurs, etc., affirme-t-il, conduisent spontanément à une sorte de constitution de corps sur le modèle d'un tribalisme moderne dont les signes sont non seulement observables et observés, mais mesurables et mesurés. Les facteurs de cette tribalisation, Ahmed Benali les identifie, d'abord dans un long chapitre. Il révèle clairement le «Concept de tribalisation» en en expliquant «la matrice historique» et en précisant les signes d'apparition de la tribalisation moderne, par exemple, la tribalisation par l'histoire, par le déclin du nationalisme, par l'économie formelle, par le syndicalisme, par la bureaucratisation des Etats, etc. Il essaie de démontrer aussi la part «des facteurs ambiants de la tribalisation à imprégnation individuelle, par exemple, les médias, les statistiques mondiales, l'idéologie de la compétition, l'insécurité, le sida, l'école, la publicité, la déstructuration des familles, etc». Cependant, cette longue série d'interrogations et de constations est suivie de «quelques pistes de réflexion» appuyées sur «des données tendancielles des effets de la mondialisation». Voilà, en quelque sorte, bien défini par-là, le concept de tribalisation. Ahmed Benali pouvait donc écrire: «La trame méthodologique de l'essai est la prise en compte du concept de tribalisation dans sa consistance sociologique qui diffère d'un sociologue à un autre.» Plus loin, justement inspiré par une observation de Jean-François Kahn, il écrit: «Nous considérons, ici - et il cite - la tribu non pas dans son acceptation purement ethnologique, mais comme l'expression d'une réalité sous-jacente à un ensemble organisationnel, qui, officiellement, la dépasse.» Il ajoute, citant cette fois Serge Latouche en l'approuvant: «Le tribalisme s'est autoconservé en état d'incandescence: de Tbilissi à Sarajevo, de Bratislava à Bakou, de Monrovia à New York, de Bruxelles à Johannesburg et nous revivons à l'échelle planétaire, le temps des tribus», et pour dire aussi ces tribus «nouvellement constituées, mais à l'heure des mondialisation». Enfin, Ahmed Benali termine sa longue réflexion par une riposte en règle contre la mondialisation, estimant que «le système des institutions internationales dans son fonctionnement, a été érigé à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans un esprit de compétition (Est-Ouest), de confrontation idéologique (communisme contre capitalisme) et de survivance coloniale (plus de 35 Etats étaient encore sous domination, loin de toute référence démocratique).» Il estime que l'Onu et ses institutions sont «Bâties sur des concepts aujourd'hui périmés» et qu'il devient urgent, qu'à «l'avènement du XXIe siècle, le monde soit doté d'institutions plus égalitaires avec des objectifs humanitaires.» Fort de sa pensée juste, il en propose un plan de refonte et adhère au mouvement qui irait «chercher les réponses aux vraies questions: qui est en train de payer la facture sociale des mondialisations?» Suit une longue énumération des facteurs responsables d'une logique qui installera à coup sûr «la mondialisation du chaos». De fait, telle décrite, telle annoncée, la mondialisation ou même son «kif-kif» au même, ce «développement durable» qui joue au serpent de mer, «Ce sont, comme écrit Ahmed Benali, des tendances lourdes qui n'annoncent pas la fin de l'histoire, mais le début d'une Autre Histoire» Cela donne grand froid au dos. Cela fait peur. Dieu préserve! Si telle est l'Annonce faite aux peuples démunis et souffrants. Faut-il alors être à l'écoute de Jabran Khalil Jabran: «Malheur à la nation, dans laquelle, chaque tribu agit en nation»? Quoi qu'il en soit, et d'accord ou pas d'accord, La tribalisation par la mondialisation par Ahmed Benali est d'une lecture utile pour tous.