Le cinéaste français, Claude Chabrol, décédé dimanche à l'âge de 80 ans, croquait, à travers une oeuvre prolifique, les travers de la bourgeoisie de province avec la même gourmandise qu'il mettait à en savourer la cuisine. Le visage rond caché par de larges lunettes, qu'il abandonnera en 1995 après une opération de la cataracte, cet amateur de bonne chère était l'un des réalisateurs français les plus populaires, connu pour son humour noir et son goût de l'autodérision. Chabrol a été révélé au grand public dès son premier film, Le beau Serge (1958, grand prix du Festival de Locarno), devenant un des porte-drapeaux, avec François Truffaut et Jean-Luc Godard, de la Nouvelle Vague. Fumeur de pipe (et de cigares), il cachait, derrière une apparente bonhomie, un certain plaisir à montrer la cruauté. «A partir d'une certaine monstruosité, les gens préfèrent ne pas penser que c'est possible, c'est là que mon travail commence», déclarait-il. Il s'était imposé comme une sorte de moraliste capable de transformer un simple fait divers en un conte féroce où se révélaient les aspects les plus sombres des hommes. «Mon goût pour le polar remonte à l'enfance, expliquait-il, quand je lisais Agatha Christie. Un mauvais polar vaut toujours mieux qu'un autre mauvais film. Normal, parce qu'il touche à des questions graves, la vie, la mort, le bien, le mal, mais sans aucune prétention». «J'utilise le cadavre comme d'autres utilisent le gag», ajoutait celui qui a dressé un portrait particulièrement corrosif de la France des années 70. Né le 24 juin 1930 à Paris, Claude Chabrol est issu de la moyenne bourgeoisie. Son père est pharmacien. Il quitte Paris durant la guerre pour se réfugier dans la Creuse, département rural du centre de la France. Elève modèle - licencié en lettres et en droit - il décourage pourtant ses parents, qui désirent le voir reprendre l'officine paternelle, en quadruplant sa première année de pharmacie. Passionné de cinéma, il devient critique dans des revues spécialisées puis dans les célèbres Cahiers du cinéma. Attiré par Alfred Hitchcock, il publie en 1957 un ouvrage, avec Eric Rohmer, sur l'auteur de Psychose. Il partage avec le maître anglais la même ironie, le même attrait pour l'horreur et y ajoute sa subtile et amère analyse sur la vanité des hommes, en particulier celle de la bourgeoisie. C'est grâce à l'héritage de sa première femme qu'il a l'argent nécessaire pour se lancer dans le cinéma. Ce boulimique de la pellicule va alors considérer le cinéma comme un hobby, tournant film sur film à la cadence moyenne d'un par an, ce qui donnera environ 60 films pour le cinéma et une vingtaine pour la télévision. Il signe de grands films comme Le Boucher (1970), Les Noces rouges (1973), Violette Nozière (1977), La Cérémonie (1995) mais aussi, selon sa propre expression, des «films alimentaires» comme Folies bourgeoises (1976). Sur le plateau, il se montre jovial, donne peu de directives aux acteurs et aux techniciens. Il aimait tourner avec ses acteurs-fétiches: Isabelle Huppert (Une Affaire de femmes, 1988), son ex-épouse Stéphane Audran (La Femme infidèle, 1968), Jean Poiret (Inspecteur Lavardin, 1985) et Michel Bouquet (Poulet au vinaigre, 1984). Producteur, acteur, dialoguiste, il avait réalisé également des oeuvres historiques (L'oeil de Vichy, 1993) et avait été conteur d'histoires à «frémir debout» sur Radio France. Marié trois fois, Claude Chabrol était père de quatre enfants.