Une quête identitaire qui n'en finit pas de commencer et de recommencer... Après Izuran, au pays des hommes libres¸ voici, en réédition, Izuran II, les enfants d'Ayye (*) de Fatéma Bakhaï: une histoire multiple dans l'Histoire profonde de notre pays. Après un mois de Ramadhan, où les esprits se sont certainement rassemblés pour une toute nouvelle analyse et vision du monde pour la tolérance et la solidarité, peut-être que cet ouvrage, parmi tant d'autres qui pourraient être à notre portée, nous aiderait à mieux appréhender, et de façon rationnelle, notre identité nationale. Les événements qui y sont relatés sont essentiellement tirés de l'Histoire de l'Humanité originelle de notre pays au sens plein du terme. Voyez poindre alors la civilisation arabo-musulmane inspirée par une Andalousie brillante de tous ses atours de culture, de civilité, de conscience humaine. La remontée aux racines ou mieux «au germe» (Izuran) de son peuple, Fatéma Bakhaï ne cesse de l'affronter, dans ce livre II, avec une minutie de chercheur et une esthétique de poète qui nous séduisent comme «les chants et la musique des vingt-quatre noubas» qui, infiniment, continueront à survivre, là où la vie serait possible, et même là où la vie serait impossible. Le printemps 1492 ne fut pas ensoleillé dans le Pays d'El Andalous! Nous sommes en présence d'un roman, plutôt du roman du souvenir du pays appelé El Andalous - et par imagination fertile, à l'époque d'Icosium -, cette Andalousie de la péninsule ibérique où, selon le célèbre écrivain Claudio Sanchez-Albornoz, écrivant dans son Espagne musulmane, «Des milliers d'hommes qui vinrent depuis l'Orient et depuis l'Afrique se mélangèrent rapidement aux millions d'habitants de la Péninsule [Ibérique]. Dès le temps d'Abd al-Aziz, fils de Moussa, ils épousèrent des femmes espagnoles et au bout de plusieurs générations de croisements successifs, à peine si couraient dans les veines islamiques d'Andalousie, quelques gouttes de sang qui ne fussent pas hispaniques.» Mais, des rares échappés à la terreur des Rayes Católicos, les Rois d'Espagne, Ferdinand d'Aragon et Isabelle 1ère de Castille, tout au début de la Reconquista, qu'en est-il advenu? L'Histoire aura retenu la politique de pureté de sang proclamée, après le xie siècle, par les autorités chrétiennes espagnoles. Cette politique d'intolérance a visé les non-chrétiens et, en vérité en particulier de 1391 à 1492, les Juifs de Majorque, de Castille et d'Aragon et, davantage et en plus grand nombre, les Musulmans. Ces derniers comprennent les Berbères venus des trois unités du Maghreb de l'époque et les Arabes venus d'Arabie et de Syrie. Utilisant le terme «Moros» (en français «Maures», écriture ancienne «Mores») qui est généralement répandu dans l'Europe médiévale pour nommer «les autres», savoir les Musulmans que l'on imaginait, à l'époque envahissants et basanés», les Espagnols désignent ainsi «non seulement les Berbères, mais aussi, à tort, les conquérants arabes (article Maures, Encyclopédie Universalis, v 10). Tout en faisant mes excuses à l'auteur Fatéma Bakhaï de recourir là à une digression et, pour essayer d'être un peu plus complet sur ce rappel historique, j'ajouterai: si l'on se réfère à la vérité géographique, les Andalous sont les habitants du sud de l'Espagne médiévale et leur appellation tire son origine de «el-Wandal», les Vandales. Lorsque, vers la fin du xve siècle, les Andalous ont été chassés de leurs maisons et se sont révoltés contre la répression dont ils ont été victimes, les Espagnols les ont appelés Moriscos, c'est-à-dire «Petits Arabes», pour les humilier et marquer leur mépris. Des insurgés ont pris les armes, se sont réfugiés dans les maquis et dans les montagnes de l'Andalousie. Héros authentiques de la résistance, certains sont devenus des mythes glorieux dans l'imaginaire des populations morisques frustrées de leurs droits de vivre sur leur terre natale, privées du simple droit d'asile et interdites de pouvoir exercer l'Islâm de leurs ancêtres. (Qui a dit que l'Histoire ne se répète pas?...Voyez l'actualité!) Dès lors, le personnage du Monfi, le «banni» ou «brigand Morisque» va hanter longtemps les esprits en Espagne comme dans toute l'Europe! Voilà. Je pense que le lecteur comprendra mieux, si j'ose dire, l'impression qu'il pourrait avoir en découvrant les personnages (hommes et femmes) de la tribu d'Ayye, l'irréductible ancêtre, et leurs récits émouvants à travers l'histoire de l'Andalousie et de l'Histoire vécue au temps où le destin du pays s'ébauche. Doria, le personnage légendaire et puissant de la saga d'Izuran II, est omniprésente, même après sa mort. C'est le fil conducteur, la maîtresse d'un destin contraire - signifié par Icosium - à celui qui va naître, avec l'enfant, son petit-fils qui portera le nom de Hassan, et non de «Tirman comme le Tirman de la vieille légende, celui qui dompta le lion». Néanmoins, «le collier d'argent et de corail», symbole de la tribu des hommes libres, conserve son importance, celle d'exister par le souvenir des ancêtres. Aussi, face à ceux qui croient et à ceux qui ne croient pas, entre Doria et le curé Léonidas, entre Doria des temps révolus de l'Andalousie et des temps nouveaux, ceux des «nouveaux visages», des «robes longues» et des «turbans serrés», les Musulmans, les chrétiens et les Juifs, découvre-t-on un monde en construction. Le peuple des Amazighs évolue à pas mesurés et réfléchis vers de nouvelles réalités historiques. Par contre, les personnages traversent les temps historiques comme vivant des séquences passées, repassées, puis continuées dans une sorte de bourrasque aux multiples effets. De grandes figures de l'Histoire du pays apparaissent, agissent, disparaissent et réapparaissent à donner le vertige et à faire perdre le fil de l'histoire. Mais c'est là une merveille de l'auteur de narrer les événements historiques et de rendre crédibles les personnages et vraisemblables leurs actions. Ce livre, Izuran II, les enfants d'Ayye, est de belle facture, et dans l'écriture et dans les thèmes traités. Cependant, soyons avertis: nous devons être patients et attentifs en empruntant les chemins discursifs et envoûtants que nous propose Fatéma Bakhaï. (*) Izuran II, les enfants d'Ayye de Fatéma Bakhaï, Editions Alpha, Alger, 2010, 197 pages.