Un an après la chute des taliban, l'Afghanistan apprend encore à vivre la paix. La chute des taliban, quelques semaines après l'offensive américaine du 7 octobre, - qui aura été aussi rapide que leur ascension au pouvoir -, a ouvert la voie à la construction d'un Afghanistan démocratique, plus de vingt ans après le début de la guerre civile. Depuis un an, l'Afghanistan, qui a retrouvé un semblant de vie sociale et de cohésion politique, tente d'organiser le retour à une situation de paix et de sécurité effectives. Mais cela reste incertain, et le meurtrier attentat du 5 septembre dernier à Kaboul, de même que les nombreuses tentatives d'assassinat du président du gouvernement intérimaire afghan, Hamid Karzaï, indiquent que la paix en Afghanistan demeure sous haute surveillance. Mais pour en arriver à cette clarification des choses, il fallut le terrible attentat anti-américain du 11 septembre, pour que les taliban deviennent, pour Washington, infréquentables et ennemis jurés des Etats-Unis, au même titre que leur ennemi n°1 Oussama Ben Laden et son organisation Al-Qaîda. Cependant ces deux dangereux terroristes présumés, un an après la chute des taliban, courent toujours et sont insaisissables. De fait, selon des déclarations récentes du président Hamid Karzaï, et de son ministre de la Défense Mohamed Qassim Fahim, le mollah Omar, dirigeant suprême des taliban, et Oussama Ben Laden, sont toujours vivants. Ce que semble penser également le général américain Dan McNeill, chef de la coalition en Afghanistan, lequel évoquant dernièrement les fugitifs indique: «Il y a des leaders qui ont la possibilité de traverser les frontières et je pense qu'il y a des zones en Afghanistan qui peuvent apporter un soutien à certains membres des taliban», affirmant à propos de la mission de la coalition en Afghanistan: «Il n'y a pas d'individu en particulier ou un groupe d'individus qui sont l'unique cible de la coalition.» Cependant, un an après l'offensive américaine peut-on dire que la nébuleuse terroriste est neutralisée? Rien d'aussi évident en fait, et c'est tellement vrai que nombre des objectifs tracés par les Etats-Unis n'ont pu être réalisés, dans la mesure où les principaux chefs taliban et d'Al-Qaîda se trouvent toujours dans la nature. Aussi, il est peu probable que le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, qui affirmait en décembre de l'année dernière à leur propos: «Nous voulons soit faire justice, soit les amener devant la justice», puisse voir son affirmation se concrétiser. Pour l'heure l'Afghanistan, qui tente de panser ses plaies, est toujours dépendant des forces de paix internationales pour sa sécurité (la Force internationale d'assistance et de sécurité - IFAS - placée sous l'égide de l'ONU est forte de 5000 hommes, outre les 7000 soldats américains stationnés depuis un an à Kaboul) et de l'aide internationale pour son alimentation. De fait, la communauté internationale, qui a promis de verser 4,5 milliards de dollars sur 5 ans, dont 1,8 milliard cette année, n'a avancé à Kaboul que le tiers de cette somme promise, soit 600 millions de dollars. Ce qui est trop peu pour donner au gouvernement intérimaire de réaliser tous ses objectifs pour un retour graduel à une vie civile normale. En vérité, en Afghanistan tout est encore à faire et le danger est loin d'être conjuré d'autant que le pouvoir du président Karzaï est construit sur le consensus tribal ou, plus sûrement, l'équilibre politique repose sur les seigneurs de la guerre et leur coopération avec le gouvernement de M.Karzaï. Ces mêmes seigneurs, qui mirent le pays à feu et à sang durant plus de vingt ans, restent de fait incontournables, comme en attestent le retour du chiite Ismaïl Khan à la tête du gouvernorat de Hérat, celle de l'Ouzbek Abdul Rashid Dostom, ou encore du Tadjik Atta Mohamed, dans leurs régions respectives. Ainsi, ces chefs de guerre, s'ils firent allégeance au gouvernement du président Karzaï, n'en reprirent pas moins pied dans leurs fiefs d'origine, remettant à une date ultérieure une véritable construction de l'unité nationale, fondée sur la citoyenneté. Certes, la situation semble évoluer positivement, les Afghans retrouvant une certaine liberté dont ils ne rêvaient plus, notamment sous le règne des taliban. Ce qui permet au représentant spécial du secrétaire général de l'ONU en Afghanistan, Lakhdar Brahimi, de faire preuve d'un optimisme mesuré affirmant: «La paix est sur les rails même si elle demeure fragile (...) il y a toujours de nombreux individus ou faction qui cherchent à s'emparer du pouvoir, mais aucun n'a encore torpillé le processus de paix enclenché.» La fragilité de la paix est également soulignée par le ministre afghan de l'Intérieur, Taj Mohammed Wardak, qui indique: «La sécurité est assurée dans le pays, mais de temps à autre, nous sommes confrontés à des actions destructrices, et ces explosions (comme l'attentat à la voiture piégée de Kaboul, qui a fait trente morts) sont l'oeuvre des taliban ou de groupes d'ignorants comme eux.» C'est dire que la paix en Afghanistan se trouve sous surveillance constante, et a besoin d'être consolidée pour permettre au pays de dépasser la spirale de la violence pour, enfin, s'engager dans une reconstruction qui s'annonce ardue. La chute du pouvoir barbare taliban a été une étape importante certes, mais d'autres phases plus difficiles restent à franchir par l'Afghanistan pour lui permettre de rentrer dans la norme.