Rude tâche donc pour le Premier ministre qui décide, contre vents et marées, d'affronter ces jeux de coulisses avec un sang-froid dont il est le seul à détenir le secret. «Notre présence devant vous, aujourd'hui, est d'abord l'accomplissement d'un devoir énoncé dans l'article 84 de la Constitution.» Ahmed Ouyahia, le Premier ministre, a commencé, jeudi, son discours devant les députés par cette précision de taille. Avec plusieurs mois de retard, le gouvernement a décidé de présenter la Déclaration de politique générale au Parlement. Mais Ouyahia a-t-il choisi la conjoncture favorable? Fallait-il peut-être faire l'impasse sur cette étape? Le secrétaire général du RND ne sera pas le premier à commettre «ce péché constitutionnel». Ce n'est pas le FLN ou même Abdelaziz Belkhadem qui affirmeront le contraire. Le Premier ministre se rend donc au Parlement avec cette détermination affichée de défendre son bilan. L'exercice est très politique. Il dépasse de loin une simple démarche technique. Tout le monde l'aura compris. Pendant trois jours, plus de 200 députés vont intervenir dans le débat même de la loi de finances qui fixe le budget de l'Etat, mais n'a pas réussi a capter l'intérêt de ce nombre très important d'élus. Une déclaration sur fond de crise au FLN Certaines indiscrétions soulignent que des proches du Premier ministre lui ont conseillé de tourner la page du bilan, évoquant trois principales raisons: premièrement, la déclaration devait se faire au mois de juin, «d'autant plus, souligne notre source que, le gouvernement a été reconduit dans sa quasi-totalité au mois de mai». Deuxièmement, l'autre argument invoqué concerne la présentation de la loi de finances 2011, le 2 novembre prochain, et du rapport du gouverneur de la Banque d'Algérie, le 20 novembre, deux projets censés revenir sur le bilan économique du gouvernement. Mais Ouyahia devait éviter le face-à-face avec les députés, selon ses proches, surtout pour éviter de subir les contrecoups de la crise au sein du FLN. Hier, juste après la levée de la séance plénière à la présentation du bilan du gouvernement, des rumeurs ont circulé sur l'intention du «mouvement de redressement» du FLN de déposer une motion de censure le jour du vote, ce qui, sur le plan pratique, est impossible pour une raison très simple: les redresseurs n'ont pas le quorum exigé par la Constitution. D'autant plus que le principal parti de l'opposition, le PT, s'est affiché, par la voix de la première responsable, Mme Louisa Hanoune, en faveur du bilan du Premier ministre. Cette dernière a même applaudi le protectionnisme économique de Ouyahia. En termes plus clairs, l'idée de la motion de censure relève de l'intox politique qui a pour objectif de déstabiliser et de perturber les séances, sans plus. Ouyahia l'aura très bien compris en évitant de plonger dans les vraies questions politiques qui occupent la scène nationale. Cela explique aussi l'orientation de son discours d'une heure qu'il a lu devant les députés. Un discours à connotation économique, qui reprend les réalisations des 18 derniers mois et qui s'inspire, dans la forme, du document remis aux députés quelques jours auparavant. Des réalisations, notons-le, que le chef de l'Etat, a salué lors des audiences ramadhanesques. L'autre détail qui mérite d'être retenu, est que le Premier ministre n'est qu'un coordinateur dans la nouvelle Constitution, il est là pour exécuter un programme «réfléchi et décidé» par le Président Bouteflika. Ouyahia évite donc les questions politiques et fera une seule exception pour le dossier de la Réconciliation nationale, un dossier presque tabou. La bataille est ailleurs pour Abdelaziz Belkhadem Aussi, Ouyahia évitera la presse qui n'a eu droit à aucune déclaration. Pour l'allié dit «stratégique» du RND, la principale bataille est ailleurs. C'est le Code communal. De sources proches du dossier, nous apprenons que le parti de Abdelaziz Belkhadem a la ferme intention de bloquer cette loi déposée sur le bureau de l'APN et censée être débattue lors de la session d'automne. Pari presque perdu pour Ouyahia. La question a été, selon nos sources, largement débattue lors d'une réunion du bureau de l'APN. Les premiers échos ne sont pas encourageants. Le FLN ne le cache pas, cette loi ne lui convient pas. Le Premier ministre est pris entre deux feux: retirer la loi, «une option qu'il n'approuve pas» soutiennent nos sources. Il peut dans ce cas de figure, reporter sa programmation en coordination avec la chambre basse, «c'est la thèse la plus plausible». D'ailleurs, Ouyahia a déjà saisi le message, il aurait demandé à la commission parlementaire de prendre «le temps qu'il faut pour examiner et réexaminer la loi». Enfin, afin de dégager toute responsabilité dans ce retard, il suggérera à son ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Ould Kablia, de saisir par écrit officiellement le Parlement pour exprimer sa disponibilité à venir présenter son texte. Rude tâche donc pour le Premier ministre qui décide contre vents et marées d'affronter ces jeux de coulisses avec un sang-froid dont il est le seul à détenir le secret. Quant au FLN, l'on connaîtra davantage ses intentions et ses motivations dans les jours à venir.