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La Valise ou la dissolution identitaire
ÊTRE EMIGRE MUSULMAN EN EUROPE
Publié dans L'Expression le 28 - 10 - 2010

«J'ai une grande estime pour la religion prêchée par Mohammed parce qu'elle déborde d'une vitalité merveilleuse. Elle est la seule religion qui me paraît contenir le pouvoir d'assimiler la phase changeante de l'existence - pouvoir qui peut la rendre attractive à toute période...J'ai prophétisé sur la foi de Mohammed qu'elle sera acceptable à l'Europe de demain.» Goethe, en 1810
Un événement qui défraie la chronique cette semaine en Europe: l'affirmation d'Angela Merkel quant à l'échec du multiculturalisme. Ceci vise, on l'aura compris, en priorité l'émigration turque qui a accompagné l'Allemagne pendant plus d'un siècle. Souvenons-nous tout le XIXe siècle a vu les coups de boutoir occidentaux russes et principalement anglais et français s'en prendre à l'intégrité du territoire de l'empire ottoman arrachant les provinces chrétiennes, Grèce, Bulgarie, attisant les haines religieuses vers 1856 au Liban pour finalement imposer un «moutassarif chrétien» à même de gérer les communautés chrétiennes mettant à mal les firmans des millets qui ont permis la coexistence pacifique des communautés religieuses pendant des centaines d'années. La fin du XIXe siècle a vu les fameux accords entre le sultan Abdulhamid et le kaiser Guillaume pour la construction du train Bagdad Bahn en réalité pour exploiter les gisements de pétrole sur le parcours jusqu'à Baghdad. La Première Guerre mondiale a vu la défaite de l'Allemagne et de son allié l'empire ottoman qui fut dépecé par Sykes et Picot (les ministres des Affaires étrangères anglais et français) avant même la fin de la guerre. L'émigration turque n'est donc pas récente et il est connu qu'il y a une acculturation, il y a des députés d'origine turque au Bundestag. Pourquoi alors cette déclaration d'Angela Merkel qui, bien que fille de pasteur, ne fait pas de la religion un credo comme George Bush? De plus sa formation de brillante scientifique, elle est titulaire d'un doctorat en Physique quantique, ne la prédispose pas à l'irrationnel. Il est vrai que ces déclarations ravivent le débat sur l'immigration et l'Islam. Comme rapporté dans le Nouvel Observateur, l'Allemagne manque de main-d'oeuvre qualifiée et ne peut pas se passer d'immigrants, mais ceux-ci doivent s'intégrer et adopter la culture et les valeurs allemandes, a-t-elle insisté dans un discours devant les Jeunesses de sa formation conservatrice.
L'Allemagne divisée
Le credo «Multikulti» (multiculturel). Le débat sur l'immigration divise l'Allemagne depuis la publication d'un pamphlet d'un haut fonctionnaire, Thilo Sarrazin, qui, sous le titre «L'Allemagne se défait», affirme que son pays «s'abrutit» sous le poids des immigrés musulmans. Une étude publiée cette semaine montre même que plus de 50% d'entre eux tolèrent mal les musulmans. Plus de 35% estiment que l'Allemagne est «submergée» par les étrangers et 10% que l'Allemagne devrait être dirigée «d'une main ferme» par un «Führer». Angela Merkel semblait ainsi ménager l'aile libérale de sa formation et l'aile conservatrice, incarnée par le chef de la CSU, Horst Seehofer. Ce dernier avait déjà lancé vendredi devant le même public: «Nous nous engageons pour la culture de référence allemande et contre le multiculturel. Le Multikulti est mort». Les déclarations ravivent le débat sur l'immigration et l'Islam-NouvelObs.com 20 octobre 2010. Le Financial Times Deutschland analysant ces déclarations, écrit: «La vie politique allemande ne connaît à l'heure actuelle de problème plus important que l'Islam. Mais pour quelles raisons? Augmentation de la violence? Attentat? Nouvelles révélations désastreuses sur le système scolaire? Pas du tout. La raison est simple: les chrétiens-démocrates craignent de perdre leur base conservatrice. Et voilà que Horst Seehofer, le président de la CSU, et Angela Merkel, la présidente de la CDU, s'imaginent qu'ils vont regagner le terrain perdu avec des concepts des années 80 comme «le multiculturalisme» et «la culture dominante.» (..) On pourrait presque ignorer ce battage à usage interne des dirigeants chrétiens-démocrates sur la culture dominante s'il n'avait un effet dévastateur à l'étranger. La chancelière allemande a également insisté sur la nécessité de se montrer «exigeant» à l'égard des immigrés».(1)
Le discours d'Angela Merkel est du pain bénit pour les extrémistes en France d'Ivan Rioufol, pyromane. Ecoutons-le déverser sa bile: «Nicolas Sarkozy est-il prêt à reprendre les propos tenus par Angela Merkel? Le constat de faillite du système multiculturel, dressé par la chancelière, est identique à celui qui s'observe en France ou partout en Europe. (...) Merkel est poussée par une opinion qui est en train de se radicaliser vis-à-vis de l'immigration et singulièrement de l'Islam. «Nous nous sentons liés aux valeurs chrétiennes. Celui qui n'accepte pas cela n'a pas sa place ici». Elle estime néanmoins nécessaire une immigration qualifiée et ajoute que «l'Islam fait partie de l'Allemagne». Cette volte-face allemande, qui officialise la mise en danger de l'identité occidentale par la poursuite d'immigrations de peuplement heurtant les valeurs des pays d'accueil, est une déclaration de guerre au politiquement correct et à son idéologie antiraciste.(...) Or, cela n'est pas vrai. Le multiculturalisme, loin d'être une addition de richesses, se vit comme un appauvrissement de la cohésion nationale et comme une source croissante de tensions ethniques et religieuses. Mais, l'Elysée persiste à tenir un discours ambigu sur ce multiculturalisme, même si Sarkozy en a suggéré les limites en rendant hommage, par sa visite à Benoît XVI, aux racines chrétiennes de la France. (...) Sarkozy aurait tout intérêt à la suivre aussi dans son analyse de la faillite du métissage, que les faussaires s'emploient à nier. Osera-t-il?» (2)
Dans le même ordre et dans toute l'Europe de droite, «on se bat» pour faire retrouver à l'Europe ses valeurs et son fond rocheux chrétien. C'est le cas des mouvements populaires européens mis en branle par une «volonté de résister» à la destruction des identités nationales, la ligue du Nord en Italie, le mouvement de Geert Wilders en Hollande,l'English Defense League en G-B. On assiste ainsi en Europe à des tentatives lancinantes pour stigmatiser la communauté émigrée d'origine musulmane, pour attiser les tensions, et semer la haine. Les médias occidentaux, acquis dans leur majorité à ce discours, tendent graduellement vers une lepénisation des esprits par une doxa incantée comme une certitude.(3)
Pour rappel, L'Express a publié une enquête début 2006 sur la montée de l'Islam en Europe. Malraux, lors de la campagne présidentielle en 1974 écrivait: «Politiquement, l'unité de l'Europe est une utopie. Il faudrait un ennemi commun pour l'unité politique de l'Europe, mais le seul ennemi commun qui pourrait exister serait l'Islam.» Déjà en 1956 au plus fort de la Guerre d'Algérie, Malraux traçait à sa façon le chemin à des idéologues comme Huntington et surtout Bernard Lewis. Que disait-il?: «La nature d'une civilisation, c'est ce qui s'agrège autour d'une religion. Notre civilisation est incapable de construire un temple ou un tombeau. Elle sera contrainte de trouver sa valeur fondamentale, ou elle se décomposera.»(4)
«Pendant des décennies, écrivent Eric Conan et Christian Makarian, la plupart des pays ont compté sur leur force d'attraction et d'intégration pour que ces nouveaux fidèles se fondent dans leurs modèles. Ils s'aperçoivent aujourd'hui que certaines revendications remettent en question leurs propres valeurs. En 1989, l'Europe avait cru sortir des tensions de l'Histoire avec l'effondrement de l'hydre soviétique. (...) Comme si, dans l'histoire longue du continent, la parenthèse refermée de la courte confrontation Est-Ouest du XXe siècle laissait à nouveau la place au face-à-face entre Islam et Occident balisé par quelques dates immémoriales dans l'histoire de l'Europe et du monde musulman: 732, la victoire de Poitiers; 1492, la reconquête de la péninsule Ibérique; 1571, la bataille de Lépante; 1683, le siège de Vienne, et 1918, la chute de l'Empire ottoman. Une histoire qui a laissé des traces profondes dans la vie quotidienne des Européens, dont beaucoup trempent tous les jours un «croissant» dans leur café sans savoir que ce rite date de la défaite de la «Horde» (l'armée turque) devant les remparts de Vienne» Au début des années 1990, M.Bolkestein commissaire européen, a déclaré incompatibles les valeurs des musulmans et celles de son pays. S'agissant de l'adhésion de la Turquie: «Si cela devait arriver, la libération de Vienne, en 1683, n'aurait servi à rien. Nous «les» avions arrêtés à Poitiers...Nous «les» avions arrêtés devant Vienne. Nous «les» arrêterons encore...sinon, l'Europe sera musulmane d'ici à la fin du siècle.»(5)
Pourquoi cette tension?
Après avoir fait un état des lieux du sort des émigrés musulmans qui sera de plus en plus difficile, nous allons expliquer pourquoi ce regain de tension et ensuite comment le christianisme a toujours coexisté d'une façon paisible avec l'Islam. Il est vrai qu'il y a curieusement un emballement de la diabolisation de l'Islam depuis 2001, et un certain discours du pape à Ratisbonne. La machine est lancée Dans son document «L'instrument de travail du Synode», le 6 juin, le pape Benoît XVI attire l'attention de la communauté internationale sur la situation des chrétiens du Moyen-Orient, il demande le respect des droits des chrétiens et la solidarité de l'Eglise universelle. Sans la voix chrétienne, les sociétés moyen-orientales seraient appauvries.» (...) La montée de l'Islam politique, à partir des années 1970, est un phénomène saillant qui affecte la région et la situation des chrétiens dans le Monde arabe. Le système des «millet» (communautés ethnicoreligieuses) a assuré une certaine protection aux chrétiens au sein de leurs communautés, ce qui n'empêchait pas toujours les conflits de caractère religieux et tribal à la fois. Pour rappel, le christianisme dont se réclament ceux qui en font une valeur fondamentale en Europe, n'est pas européen ni même occidental, il est oriental! Jésus-Christ était un sémite, un araméen, un cousin arabe, il n'avait vraisemblablement pas les yeux bleus, les cheveux blonds avec une peau blanche; bref, il n'avait rien d'occidental. Les témoignages suivants nous font percevoir qu'il n'y a pas de conflit actuel entre les Arabes chrétiens et les Arabes musulmans. Nous allons donner la parole à trois Arabes chrétiens nous parler du christianisme, de l'Islam et de la coexistence que nie le pape. Ecoutons d'abord le Père Manuel Musallam, curé de Ghaza depuis 1995, témoin des Intifadas et héros, qui a survécu à l'opération israélienne «Plomb Durci». Il est, à 72 ans, un résistant sans arme. «Ghaza est toujours sous la pression d'un crime contre l'humanité. C'est un crime de guerre qui dure depuis des années. Nous, les chrétiens, sommes d'abord Palestiniens. Nous ne voulons pas cohabiter avec les musulmans. Nous voulons vivre avec les musulmans. Je ne suis pas le curé seulement pour les 300 catholiques de Ghaza, mais pour 1,4 million de personnes qui vivent à Ghaza.» Ecoutons ensuite Hayat al Huwik Atia, journaliste libanaise de confession maronite interpellant le pape lors de son voyage en Israël: «L'Elglise d'Orient refuse d'être entraînée dans le processus de judaïsation de l'Occident chrétien. (...) Nous, l'Orient arabe chrétien, nous ne voulons pas de ce néochristianisme judéo-chrétien et nous refusons que l'Occident chrétien utilise l'influence spirituelle occidentale des églises, catholiques et protestants pour implanter en Orient et particulièrement dans le monde arabo-chrétien l'idée ou l'influence de judaïsation.Votre Sainteté le pape, sachez que je suis une chrétienne arabe! (...) Par conséquent, en ma qualité d'Arabe, je m'incline devant vous par respect pour votre personne, mais cela ne m'empêche pas de vous rappeler ma fierté d'appartenir à cette terre arabe. Cette terre est le berceau de toutes les Religions et de toutes les Révélations monothéistes. (...) Votre Sainteté, le pluralisme n'est pas venu vers nous du fait de la migration ou de la colonisation, mais du fait que nous vivons depuis toujours sur notre terre arabe avec des Arabes comme nous qui sont de plus, nos frères dans la foi. Chacun de nous sur cette terre a choisi librement sa religion et son culte.(...) La deuxième raison, est que c'est l'Occident qui est le générateur historiquement du racisme et du sionisme avec tous les résultats connus et, notamment ceux que cet Occident exerce depuis des décades contre le Monde arabe pour saper cette cohésion sociale et religieuse dans le Monde arabe. (..) En conséquence, Votre Sainteté, sachez que nous - Arabes chrétiens - nous ne sommes une minorité en aucune façon, tout simplement parce que nous étions des Arabes chrétiens avant l'Islam, et que nous sommes toujours des Arabes chrétiens après l'Islam. La seule protection que nous cherchons est comment nous protéger du plan occidental qui vise à nous déraciner de nos terres et à nous envoyer mendier notre pain et notre dignité sur les trottoirs de l'Occident». (...) Les Arabes, ici ou ailleurs, n'ont jamais persécuté les Juifs un jour, et ils ne les ont pas obligés de vivre un jour dans les ghettos à l'intérieur des pays arabes..»(6)
Pour sa part, le docteur Rafiq Khoury, prêtre palestinien du Patriarcat latin de Jérusalem, écrit: «(...) les Chrétiens font partie de l'identité de la terre et la terre fait partie de leur identité, avec leurs concitoyens musulmans. (...) L'arabité et la palestinité des chrétiens de Palestine sont des faits acquis, que nous recevons avec le lait de notre mère, comme on dit en arabe». (6) Les relations islamo-chrétiennes en Orient en général et en Palestine en particulier, s'inscrivent dans une longue histoire, qui a à son actif treize siècles de communauté de vie, où nous avons partagé «le pain et le sel», comme on dit en arabe aussi. En 638, le Khalif Omar est aux portes de Jérusalem. La conquête de la Ville Sainte s'est faite pacifiquement. Le Patriarche Sophrone est allé à sa rencontre sur le Mont des Oliviers, à l'est de la ville et lui a remis les clefs de la ville. Et c'est ensemble qu'ils entrent dans la Ville Sainte et visitent l'Eglise de la Résurrection. Comme l'heure de la prière de midi a coïncidé avec cette visite, Omar n'a pas accepté de prier dans l'Eglise même, pour que les musulmans ne disent pas dans la suite qu'Omar a prié là et qu'ils en fassent un prétexte pour occuper l'Eglise. Dans la suite, Omar a publié le fameux firman d'Omar (Al-‘Uhdah Al-Umariyiah), où il reconnaît les droits des chrétiens à leurs églises et à leurs propriétés.(...)»(7) Les Européens sont chez eux et libres. Tous les discours moralisateurs sur la tolérance, l'altérité ne servent à rien. Les musulmans européens doivent s'adapter sans perdre leur âme, ils peuvent et doivent devenir des citoyens modèles à l'ombre des lois de leurs pays d'adoption respectifs. Par ailleurs, seul le savoir permettra aux musulmans de redevenir une Umma de la connaissance et seules la liberté et la démocratie verront émerger le nouveau musulman qui n'éprouvera pas, alors, le besoin de quitter son pays et ses racines.
(*) Ecole nationale polytechnique
1.Les petites visées d'Angela Merkel - Le Financial Times Courrier international 20.10.2010
2.Ivan Rioufol: Merkel contre le multiculturalisme Le Figaro18 octobre 2010
3.Chems Eddine Chitour: La doxa occidentale et l'Islam L'Expression: 02-07-2009
4.André Malraux, le 3 juin 1956 Valeurs Actuelles n° 3395 paru le 21 Décembre 2001
5.Eric Conan, Christian Makarian: Montée de l'Islam en Europe. L'Express 26/01/2006
6.Hayat al Huwik Atia: Lettre ouverte des chrétiens arabes du Machrek à Sa Sainteté le Pape http://liberation-opprimes.net/ 24 mai 2009
7.Rafiq Khoury: Les enjeux actuels des relations islamo-chrétiennes en Palestine http://www.gric.asso.fr/spip.php?article243 30.04.2009


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