Pour la première fois, et après six reports depuis 2005, les trois hommes qui dominent la vie politique depuis la mort, en 1993, du «Vieux», le «père de la Nation» Félix Houphouët-Boigny, pourront se mesurer. Quelque 5,7 millions d'Ivoiriens sont appelés aux urnes dimanche pour une élection présidentielle historique, qui doit clore une décennie de crise inaugurée le jour de Noël 1999 par un coup d'Etat et aggravée en septembre 2002 par un putsch manqué et une partition du pays. Jamais, en 50 ans d'indépendance, cette ex-colonie française, premier producteur mondial de cacao, n'a eu droit à un scrutin considéré comme aussi ouvert et équitable. Pour la première fois, et après six reports depuis 2005, les trois hommes qui dominent la vie politique depuis la mort en 1993 du «Vieux», le «père de la Nation» Félix Houphouët-Boigny, pourront se mesurer. Chacun a une revanche à prendre sur l'Histoire. Opposant devenu chef de l'Etat en 2000 dans des conditions controversées, Laurent Gbagbo, 65 ans, espère laver l'affront que fut pour lui la rébellion de 2002, qui s'empara du Nord. Resté au pouvoir malgré la fin de son mandat en 2005, il est en quête de légitimité, à l'intérieur comme à l'extérieur. Champion du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI, ex-parti unique), Henri Konan Bédié, 76 ans, qui succéda à Houphouët-Boigny, compte effacer ce Noël 1999 qui vit des soldats mutins mués en putschistes le chasser du pouvoir, lors du premier coup d'Etat de l'histoire ivoirienne. L'ex-Premier ministre, Alassane Ouattara, 68 ans, veut réparer l'«injustice» que fut à ses yeux son exclusion de la présidentielle en 2000 pour «nationalité douteuse». Le chef du Rassemblement des républicains (RDR) aspire aussi à se défaire de l'image de parrain de la rébellion de 2002 que ses détracteurs lui attribuent. «On est fatigués»: après des années de tourmente, l'expression revient partout, chez la petite marchande des rues comme chez le fonctionnaire ou le cadre du privé, traduisant la lassitude d'une population qui garde la nostalgie du «beau pays» d'hier, chanté par le reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly. Longtemps rare exemple de stabilité politique en Afrique et «miracle» économique, la Côte d'Ivoire plongeait le 18 septembre 2002 dans la pire crise de son histoire. Si les combats entre «assaillants» et loyalistes se sont concentrés sur un mois, provoquant d'importants déplacements de population vers le Sud, le pays a connu ensuite une étrange situation de «ni guerre ni paix», entre un Nord aux mains de la rébellion rebaptisée Forces nouvelles (FN) et un Sud tenu par le régime Gbagbo. Les tensions de cette époque seront aussi symbolisées par les affrontements meurtriers, devant les caméras du monde entier, entre militaires français et manifestants ivoiriens pro-Gbagbo en novembre 2004. Pour la France aussi, qui y déploie toujours sa force militaire Licorne en soutien de Casques bleus, il y a un avant et un après-«crise ivoirienne». Signé par les ex-belligérants en mars 2007, l'accord de paix de Ouagadougou, qui conduit à la nomination du chef des FN, Guillaume Soro, au poste de Premier ministre, amorce la marche - laborieuse - vers la présidentielle. Finalement adoptée en septembre dernier, la liste électorale aura déchaîné les passions et rappelé, une quinzaine d'années après l'émergence du concept d'«ivoirité», combien la question de la nationalité reste sensible dans ce pays de forte immigration.