Il a écourté ses vacances en Tunisie pour assister aux premières Journées audiovisuelles de Tunis, organisées parallèlement aux Journées cinématographiques de Carthage. Rencontré en marge de la cérémonie d'ouverture des Journées audiovisuelles, le journaliste français, natif de Constantine, anime depuis septembre 2007 une émission de débat, «Revu et corrigé» et ce, chaque semaine sur France 5. Il se livre ici en toute franchise. L'Expression: Vous confiez tout à l'heure que c'est dangereux quand la politique se sert du religieux. Qu'en est-il de cette affaire de la burka qui a défrayé la chronique et très médiatisée en France.. Paul Amar: On en parle parce que les politiques ont décidé d'en faire une loi. Je pense que quelle que soit la religion, celle-ci doit rester dans la sphère intime. Cela ne me gêne pas de voir une femme voilée dans la rue. Elle vit comme elle l'entend, mais on en parle car le politique a décidé, d'un coup, de légiférer. Je suis né en Algérie. Donc de zéro à 11 ans, je n'ai vu que des femmes voilées autour de moi. Cela ne m'a pas gêné dans la mesure où cela n'atteignait pas l'éducation des uns et des autres. Chacun vit la religion comme il l'entend. Si le politique se sert du religieux pour en faire une arme de conquête ou de prosélytisme, quelle que soit la religion, là il y a un danger. Je suis croyant moi-même. Je ne parle même pas en tant que laïc ou non-croyant. Je pense qu'il devrait avoir quand même une séparation très nette entre la sphère religieuse et celle politique, la sphère médiatique et citoyenne et de l'éducation Vous venez d'évoquer un double malentendu qui existe entre la réalité sociale et ce qui est rapporté dans les médias. Dans l'exercice de notre profession, il y a déjà un double malentendu. La logique médiatique s'imprègne de la logique politique et la répercute, et souvent la logique médiatique est guerrière. Moi-même, qu'est-ce que je fais dans mon émission Revu et corrigé que je présente sur France 5? Je réalise des débats, donc forcément conflictuels, pour parler de la question de l'Islam, mais ça vaut aussi sur la question des retraites, pour l'éducation et pour d'autres sujets évidemment. On ne pose que des questions qui génèrent le conflit, la contradiction et quand je quitte mes oripeaux de journaliste, et que je viens découvrir et vivre au milieu d'une terre d'Islam pendant une semaine ou dix, je découvre, autre chose, une autre société, je me dit attention il y a un danger. Il ne faut pas que je voie la société du monde arabo-musulman uniquement sous un seul prisme. Celui du journaliste. Ou à travers un seul prisme, celui du politique. Il faut plutôt la voir sous un autre prisme comme dirait Gramsci, celui de la société civile. Quand je regarde la société civile tunisienne ou même la société civile française d'origine musulmane, car je connais très bien Paris, je découvre une société qui n'a rien à voir avec l'Islam tel que les médias la présentent et parfois les politiques, et là d'ailleurs les premiers à souffrir de ce regard partial sur l'Islam, ce sont les musulmans eux-mêmes, qu'ils soient tunisiens, algériens, français peu importe. Quand je viens ici, je constate une grande contradiction dans l'image véhiculée sur la femme en France. Ici je vois la femme policière, contrairement à la voilée en France. Je remarque ici une telle sérénité. Il y a une perception radicalement différente. Un contraste salvateur pour le journalise que je suis. Quand je vois une femme voilée là-bas, je pense à cette femme ferme et «flic» ici (en Tunisie, Ndlr). Que faut-il faire pour y remédier? Il faut un échange permanent. Inciter les journalistes à voyager davantage. Ne pas s'enfermer dans cette dimension cognitive et mettre des oeillères et ne voir les choses qu'à travers le regard du journaliste, il faut susciter les rencontres, c'est capital. Effectivement, une partie de la presse française a pris en grippe le régime tunisien et a parfois tendance à confondre la société civile tunisienne avec le régime et englobe tout. Alors quand on vient en Tunisie, on voit combien les relations sont libres, à quel point on peut avoir un échange très contradictoire. Je reconnais qu'il y a une certaine crispation. Je pense que là il faut, du point de vue tunisien, communiquer davantage. Pourquoi, à votre avis, certaines chaînes télé françaises alimentent-elles ce malentendu en véhiculant une image très souvent négative de l'Algérie? Parce qu'il y a ce débat récurrent sur l'islamisme. Certains, un peu ignares, confondent entre islamisme et Islam. Il y a aussi ce débat récurent sur la menace terroriste. Pourquoi? Parce qu'il y a une peur. Ils vont finir par tout confondre. Quand il y a une prise d'otage dans le désert, forcément ça fait peur, quand nos confrères sont enlevés en Afghanistan par les taliban, il y a une peur. Quand on prend en otage au nom d'une religion, ou d'un principe religieux, là il y a une angoisse et ensuite il y a le mot Islam qui est prononcé alors s'ensuit un glissement désastreux qui est très pernicieux vers islamisme, terrorisme, alors, soit il est involontaire et c'est stupide, soit alors volontaire, car il arrange certains, notamment dans les débats sur l'immigration, c'est pour cela qu'il y a ce climat angoissant, et parfois nauséabond contre lequel il faut lutter. D'ailleurs, je le dis à tous les journalistes, qu'il faut voyager souvent, et ne pas se contenter de l'aide du numérique. Cela permet de changer d'optique, du regard et d'enrichir sa vision.