Un homme qui crie du Tchadien Mohamed Salah Haroun, Prix du jury à Cannes, a ouvert le bal, samedi soir, hors compétition. C'est au majestueux Théâtre municipal de Tunis que s'est ouverte la 23e édition des Journées cinématographiques de Carthage, placée cette année sous le signe «Cinéma et jeunesse». Cette édition se veut bien particulière, nous ont assuré le ministre de la Culture et du Patrimoine, Abderaouf El Basti et Dora Bouchoucha, directrice des JCC, car coïncidant avec l'Année du cinéma sous laquelle est placée la Tunisie. Aussi, le ministre de la Culture, dans son allocution de bienvenue, dira tout l'effort que déploie la Tunisie pour la promotion du cinéma par l'encouragement à la distribution cinématographique, l'aide à la jeunesse, la création de nouvelles salles multiplexes, l'organisation d'un atelier d'encouragement du court métrage. Les JJC qui tendent ainsi à devenir «une fenêtre de dialogue et une plate-forme des cinémas du monde» entendent comme à chaque édition, faire la promotion des cinémas arabe, d'Afrique et d'autres horizons. Ainsi, de nombreux invités en provenance de différents pays ont assisté à cette cérémonie d'ouverture - dont les comédiennes égyptiennes Ilham Chahine et Yousra - qui alliera musique (une chanteuse libanaise et un musicien/chanteur au cora) et cinéma sous le regard attentionné d'un jury toujours aussi éclectique. Bien que créé il y a 44 ans, ce festival n'a rien perdu de sa superbe, bien au contraire, c'est un «festival d'aujourd'hui bien que proche du demi-siècle d'existence et, les JCC sont appelées à réfléchir à l'avenir», souligne Dora Bouchoucha, directrice de la 23e édition. Pour être en phase avec son temps, le festival a ajouté deux nouvelles sections aux traditionnelles séries: le documentaire, «parce que le cinéma est de plus en plus ancré dans le réel» et le court métrage local, en «écho à la vitalité de la production», explique-t-elle. Présidé par le réalisateur marocain Nabil Ayouche, le jury est composé, notamment du comédien égyptien Khaled Abul Nagra, du critique de cinéma franco-algérien, Samir Arjoum, la monteuse tunisienne de talent, Nadia Ben Rachid et la réalisatrice camerounaise, Osvalde Hallade Lewat. Onze documentaires sont en lice pour la distinction suprême du festival: le Tanit d'Or. On cite entre autres La guerre secrète du FLN en France de Malek Bensmaïl qui figure parmi cette sélection qui compte des films produits en Afrique du Sud, au Cameroun, en Egypte, au Liban et au Mali. Treize longs métrages et onze courts métrages sont en lice dont les plus attendus sont State of Violence du Sud-Africain Khalo Matabenee, Once again de Joud Saïd (Syrie) et Message from the sea de Daoud Abdel Sayed (Egypte) ou Voyage à Alger de Abdelkrim Bahloul. Trois longs métrages tunisiens sont dans la course aux Tanits: Les Palmiers blessés, de Abdelatif Ben Ammar (une coproduction algéro-tunisienne), Chronique d'une agonie de Aïda Ben Aleya et Fin décembre de Moez Kamoun. Pour cette catégorie, le jury sera présidé par le réalisateur haïtien Raoul Peck et comprendra Diane Baratier (France), Joseph Gaye Ramaka (Sénégal), Anouar Brahem (Tunisie), Atiq Rahimi (Afghanistan), ainsi que les actrices Ilham Chahine (Egypte) et Soulef Fawakherji (Syrie). La cérémonie d'ouverture a été marquée par la projection du film poignant Un Homme qui crie de Mohamed Salah Haroun, Prix du jury au Festival de Cannes 2010. Le film a pour toile de fond le Tchad de nos jours. Adam, la soixantaine, ancien champion de natation est maître nageur de la piscine d'un hôtel de luxe à N'Djamena. La natation est toute sa vie. Lors du rachat de l'hôtel par des repreneurs chinois, il doit laisser la place à son fils Abdel. Il vit très mal cette situation qu'il considère comme une forme de déchéance sociale. A côté de ce halo paradisiaque, la piscine, se joue gerre qui n'a de cesse de grandir. Le pays est en proie à la guerre civile et les rebelles armés menacent le pouvoir. En réaction, le gouvernement, fait appel à la population pour un «effort de guerre» exigeant d'elle argent ou enfant en âge de combattre les assaillants. Adam est ainsi harcelé par son chef de quartier pour sa contribution. Mais Adam n'a pas d'argent, il n'a que son fils qu'il finit par sacrifier. Sur fond d'amertume, ce film peint avec violence, le désespoir d'un homme qui, rage au ventre, finit presque par perdre la foi en Dieu. Devant le malheur qui s'abat sur lui et par ricochet celui de toute sa famille, «Champion» finit par exploser en pleurant sur son sort. Le film traversé par de longs pans de silence, balayant des paysages morts, parvient à nous transmettre la détresse d'un homme qui ne peut crier que dans son fort intérieur. Hélas! Personne ne peut lui venir en aide. Habitué à porter sa croix, il empêchera la copine de son fils de crier quand celle-ci apprend que c'est son père qui l'a «vendu». Un beau film qui, souhaitons- le, sera un gage de qualité pour le reste des films proposés jusqu'au 31 octobre. Notons enfin, qu'une autre nouveauté a été apportée par les JCC, laquelle consiste en l'instauration de deux prix. Le premier par l'Organisation de la femme arabe (OFA), une instance regroupant les Premières Dames arabes, actuellement présidée par Leïla Ben Ali, épouse du chef de l'Etat tunisien. Ce prix sera remis le jour de la clôture, parallèlement à l'organisation du colloque sur la femme arabe qui se tiendra à Tunis du 26 au 30 octobre. Le second récompensera un jeune cinéaste à l'initiative de l'ambassade de France, qui organisera en marge du festival, les «Premières journées audiovisuelles» du 25 au 27 octobre. Cette manifestation, qui vise à promouvoir la circulation des programmes entre le nord et le sud de la Méditerranée ainsi que la coproduction et la formation, sera marquée par la projection en avant-première du film de Nicole Garcia Un Balcon sur la mer, en présence de l'auteure et du ministre français de la Culture, Frédéric Mitterrand.