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Alger et Marseille dépassionnent l'Histoire
DES FILMS REALISES PAR DES COLONS DEPUIS 1920
Publié dans L'Expression le 07 - 11 - 2010

«La mémoire en partage entre l'Algérie et la France dans le cinéma et l'image au bord de la Canebière», thème d'une rencontre.
Alors que la polémique sur le film Hors-la-loi était encore présente en France et qu'une association d'anciens de l'Algérie française préparait l'installation d'une stèle en hommage à l'OAS à Marseille, une association de jeunes français passionnés du 7e art «Ciné-mémoire», a organisé à la fin du mois d'octobre une manifestation cinématographique sur le thème «La mémoire en partage entre l'Algérie et la France dans le cinéma et l'image au bord de la Canebière».
Un thème sensible, qui fait encore débat, mais assuré et assumé par cette association conduite par Claude Bossion dont la passion était de collectionner des anciens films super 8, tournés par des colons et les Algériens en Algérie depuis 1920.
Des images d'archives soigneusement sauvegardées, restaurées et transférées sur des formats modernes comme le DVD et qui ont aujourd'hui une valeur importante aussi bien pour les Algériens que pour les Français en raison de l'histoire commune qui unit et sépare les deux pays.
Des images étonnantes par leur qualité, leur ancienneté et surtout par leur valeur anthropologique et qui interviennent au moment où l'Unesco organisait la 4e Journée internationale du patrimoine audiovisuel sur l'importance de la sauvegarde des archives. Depuis 1999, la France a numérisé plus de 500 sur les 800.000 heures d'images d'archives à travers l'INA. Dans le monde, il existerait plus de 200 millions d'heures dont 80% seraient en danger selon l'Unesco.
Ciné-mémoire, travaille sur les archives et la mémoire partagée depuis 2007 et c'est sur l'Algérie qu'elle initie son premier festival. Une manifestation qu'elle voulait globale et sans exclusion, puisqu'elle a tenu à associer à cette manifestation deux importantes institutions: la Cinémathèque algérienne et le ministère de la Culture.
En plus des institutions publiques de la ville de Marseille, le Consulat d'Algérie à Marseille et l'Association algérienne «A nous les écrans», se sont joints à ces journées cinématographiques sur la mémoire partagée.
La récupération des archives
En accordant carte blanche à la Cinémathèque algérienne, Ciné-mémoire a donné à sa manifestation plus de crédibilité et surtout une valeur ajoutée à l'échange entre les deux rives.
Badia Sator, la directrice de la Cinémathèque, déclare à ce sujet: «Pour la cinémathèque algérienne qui reste avant tout le musée du cinéma, c'est une chose formidable. Cela ouvrira des perspectives pour faire des échanges, on va profiter de leur formation et de leurs expériences dans la conservation du patrimoine filmique et un avenir à partager ensemble.» Avant d'ajouter: «C'est le début d'une importante collaboration, je tiens à rendre un hommage particulier à Ahmed Zir, parce que c'est lui qui a mis en place tout ce processus avec ce documentaire sans paroles. Je le félicite pour son travail réalisé en résidence avec Claude Bossion.»
En plus des images, les débats étaient importants pour situer la valeur des échanges des archives et sur ce point, la table ronde sur les images d'archives en France et en Algérie a fixé toutes les orientations. Après la diffusion d'un panorama de 40 ans du cinéma algérien, réalisé par le réalisateur algérien Salim Aggar, l'assistance, en grande majorité française, a été éblouie par la qualité des films réalisés par le cinéma algérien, mais surtout par la qualité de mise en scène de certaines oeuvres.
Le plus touché a été sans nul doute Ahmed Bedjaoui, puisque le Conseiller de la ministre de la Culture pour le cinéma a contribué à la production de plusieurs films présentés dont le plus prolifique Nahla. Sur l'importance des archives partagées entre l'Algérie et la France, Bedjaoui reste prudent.
«Nous sommes encore dans des positions éloignées, nous avons un droit de récupération de notre mémoire collective, des images qui ont été tournées en Algérie, des images qui concernent la mémoire algérienne, nous devons récupérer les archives filmées, les journaux télévisés et tout ce qui a été tourné en Algérie. Nous devons les récupérer et les utiliser de notre point de vue. Pour le moment, il y a des points de vue nostalgiques. L'utilisation de certaines images pour les professionnels et pour les historiens qui ont une valeur anthropologique, pour dire aux jeunes, comment étaient et comment vivaient les Algériens sous la colonisation, mais il faut tout de même les utiliser de la meilleure façon possible pour raconter l'histoire de l'Algérie et non pas les prendre comme ça sans discussion», a-t-il déclaré. Mais Bedjaoui reste convaincu que cette manifestation est importante pour poser le débat et discuter sur le partage des archives. Il indique à ce propos: «Il y a quelque chose particulièrement intéressant dans cette manifestation, c'est le traitement de l'histoire par l'image. C'est-à-dire comment retrouver le passé et la mémoire par des images qui avaient été tournées parfois par des familles et par des amateurs. Ce sont des images comme cela collectées par hasard mais qui ont une vertu anthropologique et historique importantes.»
Mais l'autre point positif de cette manifestation, c'est la projection des films algériens sur la Révolution, à Marseille: la programmation des films dramatiques sur la Révolution comme Noua d'Abdelaziz Tobni, La Nuit a peur du Soleil de Mustapha Badie ou encore Patrouille à l'Est d'Amar Laskri présenté dans le cadre de la carte blanche offerte par la Cinémathèque de Marseille à la Cinéma-thèque algérienne, a été une grande découverte et un choc pour le public marseillais majoritairement français.
Des films d'une charge émotionnelle énorme et d'une qualité cinématographique d'une grande beauté, ont ébloui et marqué le public qui ne connaissait que La Bataille d'Alger ou l'Opium et le bâton.
A ce propos, Marianne Roquelin, une Marseillaise qui connaît bien le monde des festivals pour avoir travaillé comme chargée de communication et qui découvre l'histoire algérienne, a déclaré à ce propos: «Noua est un film très poignant d'autant plus que c'est un film qui s'est fait sans comédien professionnel et où on a pu avoir une idée de la misère et de l'oppression dans laquelle peut se retrouver un peuple, là on la voit très bien» avant d'ajouter: «La programmation a été particulièrement riche en émotion et en leçon d'histoire et en découverte.»
Le premier film algérien
Pour l'histoire, Ahmed Bedjaoui a rectifié en déclarant: «La Nuit a peur du soleil, est le premier film algérien au cinéma avant Une si jeune paix, avant La Bataille d'Alger. Le tournage a été commencé en 64 et s'est terminé en 1965. Et donc c'est la RTA qui l'a produit avec ses moyens, avec un grand réalisateur, Mustapha Badie, un grand directeur photo, Noureddine Adel. C'est un film qui a la vertu de pouvoir raconter l'Algérie sous plusieurs décennies, plusieurs générations, c'est un film qui mérite une relecture aujourd'hui.»
Le public marseillais était venu nombreux pour découvrir le magnifique documentaire sans paroles «Images, passion et histoire» d'Ahmed Zir, produit par Ciné-mémoire et qui est basé sur des images super 8 filmées de l'époque. C'est dans la magnifique salle Le Polygone étoilée, dirigé également par une bande passionnée de la bobine film, que le public marseillais était venu découvrir pour la première en France le documentaire «Paroles d'un prisonnier français de l'ALN».
Un doc qui évoque les moments forts de la captivité d'un soldat français par un groupe des moudjahidine en Kabylie. La projection a été suivie par un débat intellectuel et passionné dans le plus total respect, entre le public français d'un côté et le public algérien de l'autre, c'est sans doute la plus grande réussite de cette manifestation: réussir à réconcilier Français et Algériens dans le débat sur l'histoire et la mémoire.
Pour Claude Bossion, l'initiateur de cette manifestation, c'est une réussite: «On atteint un résultat intéressant, il y a du monde qui est venu voir ces films, ce qui ressort de ces programmations, comment un récit se construit à une période donnée, et comment le cinéma et le reflet de cette pensée et de cette idiologie est perçu à cette période. C'est comment ces images vont façonner notre mémoire et notre manière de penser. Je crois qu'on a commencé à percevoir cette possibilité dans les images.» Cette manifestation de l'Association Ciné-mémoire a réussi en tout cas à présenter un programme riche et diversifié et à installer le débat et surtout à partager la mémoire entre l'Algérie et la France. Une manifestation qui va s'étendre à d'autres pays du Maghreb jusqu'à 2013, année à laquelle la ville de Marseille va devenir capitale européenne de la culture.


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