La tribu sudiste Dinka Ngok et celle des Misseriya, arabe du nord du Soudan, sont engagées dans un bras de fer sans merci pour la région disputée d'Abyei, une poudrière à la lisière du nord et du sud du Soudan susceptible d'embraser le plus vaste pays d'Afrique. Construction d'une première avenue bitumée, apparition de poteaux électriques près de huttes de paille, réouverture d'une clinique: le hameau d'Abyei renaît de ses cendres après avoir été rasé en mai 2008 lors de combats entre éléments armés sudistes et nordistes. Ces affrontements avaient fait une centaine de morts et forcé le déplacement de 50000 personnes, 45.000 sudistes Dinka Ngok et 5000 nomades arabes Misseriya, laissant planer le spectre du retour à la guerre civile entre le Nord, musulman, et le Sud, en grande partie chrétien. Depuis, environ 8000 personnes sont retournées à Abyei attirées par le nouveau développement au coeur de cette région contestée, qui doit choisir en janvier son rattachement au Nord ou au Sud du Soudan, simultanément au scrutin sur l'indépendance du Sud-Soudan. Mais voilà, le référendum d'Abyei bat de l'aile. La commission référendaire n'a pas encore été nommée. Aussi, nordistes et sudistes ne s'entendent pas sur l'éligibilité des électeurs, la loi référendaire accordant le droit de vote aux Dinka Ngok, mais pas aux nomades arabes Misseriya qui migrent chaque année à Abyei en quête de pâturage et d'eau pour leur bétail. «Les gens sont préoccupés parce que la période d'inscription sur les listes électorales doit commencer, mais jusqu'à présent c'est toujours l'impasse concernant Abyei», remarque Deng Arop Kuol, administrateur en chef de cette région contestée. La chef des opérations humanitaires de l'ONU, Valerie Amos, s'est rendue samedi à Abyei, où elle a discuté avec M.Kuol, et à Agok, un peu plus au sud, pour rencontrer des personnes ayant fui les violences de 2008 et des ONG qui pourraient être appelées à accroître leurs services en cas de nouveaux combats. La tension demeure élevée à Abyei. «Les gens ayant besoin d'aide humanitaire devrait la recevoir peu importe le côté de la frontière où ils vivent», a déclaré Mme Amos. Les ONG opérant à Agok, dont l'irlandaise Goal et Médecins Sans frontières (MSF), ont établi un «plan de contingence» afin d'avoir le matériel disponible pour soigner la population en cas de nouveaux affrontements à Abyei. «Notre intention est d'être prêt en cas de victimes en masse», explique Patricia Carrick, une responsable de la clinique MSF à Agok. Personne ne sait ce qu'adviendra à Abyei au cours des prochains mois, mais les observateurs craignent le pire. «S'il y a des violences, cela pourrait avoir un effet domino et entraîner le Kordofan-Sud», Etat nordiste situé à la lisière du Nord et du Sud, pronostique un responsable de l'ONU sous couvert de l'anonymat. Le Parti du congrès national (NCP du président Bechir, nord) et les ex-rebelles sudistes du Mouvement de libération des peuples du Soudan (SPLM), ainsi que les chefs des tribus Dinka Ngok et Misseriya, doivent reprendre sous peu les pourparlers afin de débloquer l'impasse d'Abyei. L'un des scénarios évoqués est d'annuler le référendum d'Abyei, mais d'en arriver à un accord qui puisse satisfaire à la fois les partis politiques, intéressés par le pétrole d'Abyei, et les tribus locales.