Elle est jeune, n'a que 25 ans, mais a su porter avec brio, force et émotion, le personnage de Saartjie Baartman, connue sous le nom de la «Vénus Hottentote». Elle nous parle de sa première expérience cinématographique qui l'a profondément marquée avec le réalisateur français d'origine tunisienne Abdelatif Kechiche... L'Expression: Yahima Torres, comment avez-vous pu camper un personnage aussi fort que celui-là sachant que c'est votre premier rôle professionnel au cinéma? Yahima Torres: Cest mon premier rôle au cinéma, certes, mais avant cela j'ai fait un peu de théâtre. Et je fais beaucoup de danse à Cuba. En fait, j'avais commencé les préparatifs du film avec Abdel (le réalisateur Abdellatif Kechiche Ndlr) neuf mois avant le tournage. C'est, en effet, un personnage très physique, il me fallait répéter pour me préparer au chant et adapter mon corps au rôle, la prise de voix etc. J'ai été prise, forcément, pour la ressemblance avec la Vénus Hottentote. Il fallait prendre du poids, se couper les cheveux. Certains points étaient primordiaux pour interpréter ce rôle. Vous avez donc grossi pour le film... Oui, j'ai juste pris des protéines, suivi des cours de musculation, fait de la gym aussi. J'ai suivi des cours avec un coach sportif, pour la prise de poids également. J'ai pris environ 15 kilos pour le rôle. Après, il faut bien connaître l'histoire de la personne qu'on va interpréter, car c'est quelqu'un qui a beaucoup souffert dans sa vie, il faut connaître tout son parcours pour bien interpréter les scènes dans le film. Le fait de bien connaître le personnage, ça aide en tant que femme, dans certaines situations comme celles-là, de bien se mettre dans la peau de son personnage. Abdel m'a donné plein de techniques pour arriver à traduire des émotions telle la tristesse. Comme c'était la première fois que je jouais dans un film, j'ai dû faire un gros travail avec le réalisateur. Quelle a été votre réaction justement à la lecture du scénario? J'en étais choquée d'abord, car je ne connaissais pas du tout cette histoire. Je suis arrivée en France en 2003. Un an après que la France ait rendu le corps de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud. J'avais vaguement entendu parler de la Vénus Hottentote, mais jamais son histoire à fond. Quand j'ai lu le scénario, j'ai découvert sa vie depuis son arrivée en Europe, la mort de son enfant et toutes les choses qu'elle a gardées en elle. Le fait que Abdel me donne la responsabilité de porter ce rôle difficile fait d'émotions trop fortes, j'avais un peu peur tout en étant confiante en lui, d'autant qu'il a, lui aussi, mis toute sa confiance en moi. Il était très clair dès le début par rapport à la nudité et certaines scènes qui sont tellement fortes qu'il faut être bien armée pour ça. La confiance devait être complète entre les comédiens après chaque prise. Après lecture du scénario, j'étais très émue et me suis sentie très honorée de camper ce rôle, le fait qu'Abdel m'ait choisie, moi pour donner vie à cette fille à l'écran! Je me sentais très heureuse de participer à cette aventure. N'avez-vous pas eu certaines appréhensions quant à quelques scènes qui peuvent choquer le public? Abdel a été très clair là-dessus, dès le début. Il avait tellement de respect pour moi dans le tournage que moi je lui faisais une totale confiance. Le respect régnait à cent pour cent envers moi, que ce soit de la part des comédiens principaux ou des figurants. Abdel savait comment me parler pour me rassurer quant au regard qu'on me portait. Il était toujours respectueux. Tout le monde était protecteur avec moi car on savait que mon rôle était difficile. Ça m'a beaucoup aidé surtout que c'était la première fois que je tournais pour le cinéma. Pendant le tournage des scènes dures, on me mettait le plus possible à l'aise. En tant que Cubaine, donc afro-américaine noire, que peut vous inspirer une histoire pareille, aussi tragique? En découvrant cette historie, j'étais tellement choquée, bouleversée, me demandant comment l'être humain pouvait être capable de faire subir de telles humiliations et être totalement irrespectueux envers un autre, avec une femme surtout... A l'époque de Saartjie Baartman, il y avait beaucoup d'oppression et de sentiment de supériorité par rapport à la femme. Saartjie est arrivée victime dans ce monde occidental avec ses formes particulières, ses fesses développées, sa couleur de peau différente, sa culture, sa langue... Tout cela faisait qu'on portait sur elle un regard différent, un regard de supériorité en la traitant comme un animal. Son maître d'ailleurs montait des spectacles pour la montrer ou l'exhiber comme une bête. J'étais choquée. On ne sort pas indemne d'une telle histoire, en tant qu'être humain et puis en tant que femme; voire comment elle était humiliée, c'est si révoltant. Quand elle refusa de montrer son sexe, on le lui coupa après sa mort, on l'expose dans un musée et on le compare à un animal. C'est l'humiliation extrême. Heureusement qu'aujourd'hui elle repose en paix puisqu'on a rapatrié son corps en Afrique du Sud. Vous ne pensez pas que c'est assez tard, 2002? En 1994, Nelson Mandela a fait la demande. Il a fallu attendre la réunion à l'Assemblé nationale de Paris pour donner l'accord de la restitution de son corps à l'Afrique du Sud. Cela a été approuvé en janvier 2002. Le corps de Saartjie Baartman est retourné en Afrique du Sud le 9 août 2002, le jour de la femme africaine je crois... Tout ce retard prouve que le sentiment de racisme persiste jusqu'à nos jours.. Effectivement, le racisme est encore d'actualité. Quand j'étais à New York, j'étais très étonnée du fait que beaucoup de femmes se soient identifiées à mon personnage, dans le film. Car il y encore des femmes battues, des histoires cachées. Le regard supérieur par rapport à l'autre existe encore aujourd'hui dans le monde. L'égalité dans nos sociétés n'existent pas encore, le fait qu'on soit de peau différente, possédant des formes différentes, alors que nous sommes tous pareils, des êtres humains. Cette histoire a plus de deux cents ans, mais elle reste hélas d'actualité. Le racisme persiste encore malheureusement. Cette expérience vous donne l'envie de poursuivre le chemin dans le 7e art, j'imagine. Oui. Ah oui! (rire). Pour l'instant, je suis en train de chercher un agent. Ce rôle, que vous a-t-il apporté? Tout d'abord une meilleure connaissance d'une histoire que je ne connaissais pas avant. Cela m'a appris à avoir un regard plus profond sur les gens, d'apprendre à être plus vigilante quand on vient dans un pays nouveau, comme moi-même.