L'enfant terrible de la littérature française a été couronné lundi par le Goncourt, le plus connu des Prix littéraires français pour son roman La carte et le territoire. Un prix après plus d'une dizaine d'années d'attente. Les jurés de l'Académie des Goncourt ont consacré l'un des auteurs français les plus connus et traduits au monde, au premier tour par sept voix contre 2 voix à la subversive Virginie Despentes pour Apocalypse bébé. La romancière et réalisatrice a, quant à elle, été sacrée par le prix Renaudot pour ce roman, un feu d'artifice ironique entre satire sociale, polar contemporain et romance homosexuelle. Voila un auteur «soulagé», accablé sous une tonne de micros qui s'exprimait à demi-mot à la sortie de chez son éditeur, assailli qu'il était par une avalanche de journalistes, lui l'homme de l'ombre, considéré presque comme un misanthrope. «C'est une sensation bizarre mais je suis profondément heureux», a-t-il réagi, attablé avec le jury du Goncourt dans une salle d'un restaurant parisien chic où le nom du lauréat est annoncé chaque année. Et d'ajouter: «Il y a des gens qui ne sont au courant de la littérature contemporaine que grâce au Goncourt, et la littérature n'est pas au centre des préoccupations des Français, donc c'est intéressant». Depuis son premier roman Extension du domaine de la lutte en 1994, Michel Houellebecq, souvent qualifié de professeur de désespoir, décrit avec une froideur clinique la misère affective et sexuelle de l'homme moderne, sa solitude absolue. Dans La carte et le territoire (éditions Flammarion), son cinquième roman salué par une critique quasi unanime, Houellebecq éreinte l'art, l'amour, l'argent, les «people», ironise sur la campagne française et met en scène avec sadisme son assassinat. Il se caricature avec jubilation. Il «pue un peu moins qu'un cadavre» et ressemble «à une vieille tortue malade», écrit-il de son double littéraire. Mais la tonalité du livre est moins désespérée et glauque que celle de ses précédents romans et sa facture plus classique. L'écrivain avait été évincé du Goncourt en 1998, avec «Les particules élémentaires», et sept ans plus tard, à une voix près, avec «La possibilité d'une île». Houellebecq, souvent considéré comme très misogyne - les femmes, grandes lectrices, ne l'ont pas jusque-là porté dans leur coeur -, semble aujourd'hui assagi et moins provocateur, sans toutefois perdre sa vision acide du monde ni son ironie. Plus de 130.000 exemplaires de La carte et le territoire se sont déjà vendus depuis sa sortie début septembre et les ventes devraient s'accélérer: un Goncourt double ou triple les ventes d'un livre, avec près de 400.000 exemplaires en moyenne, selon une étude récente.