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Le pays où la femme est reine
TUNISIE

L'image ne nous vient pas d'un pays de l'Occident. Loin s'en faut! Il s'agit d'un tout petit pays frère et voisin où la gent féminine incarne le modèle de la femme émancipée...
Elles circulent en toute liberté et sans aucune crainte de se faire agresser, ni même embêter. Voilée ou sans, elles se déplacent sans gêne. De jour comme de nuit, elles se baladent seules ou en groupes dans les rues. Elles s'asseoient même aux terrasses pour siroter à l'aise un café. Le regard d'autrui n'existe même pas chez elles. Cette image ne vient pas de loin ou d'un pays de l'Occident. La Tunisie, ce petit pays incarne le modèle de la femme émancipée.
«Les femmes jouissent d'une grande liberté», lâche Youcef, chauffeur de taxi. Il était 21 heures passées en ce mercredi 27 octobre, l'avenue du 7 Novembre plus connue sous l'appellation de Bourguiba, dégageait une bonne ambiance. Malgré le temps froid et quelques averses, les trottoirs et les cafés ne désemplissaient pas. La fin de la saison estivale n'a pas tout pris dans ses bagages. La vie nocturne continuait son cours sans ce soucier des folies de l'automne. «La ville est mouvementée tout au long de l'année», témoigne notre chauffeur avec un accent purement tunisois.
A Sidi Boussaïd, un bijou du tourisme tunisien, l'ambiance n'est pas différente. Dans ce petit village, peint uniquement en bleu et blanc, la saison estivale se prolonge. Des groupes de touristes venus de différents pays affluaient sur les lieux. La beauté du site, où l'on trouve les plus beaux bijoux de l'artisanat tunisien, constitue un passage incontournable pour les visiteurs. En cette fin de journée du vendredi, les rues de Sidi Boussaïd grouillaient de monde. Les cafés affichaient complet.
Les vendeurs multipliaient leurs offres pour attirer les clients. La tombée de la nuit n'a pas dissuadé les gens de rentrer chez eux. Bien au contraire, les lumières et le coucher du soleil offrent à l'esprit une détente douce, une promenade en silence à même de chasser à tout prix le stress.
Au café Sidi Chabane, qui donne sur un paysage panoramique, l'image témoigne réellement de la diversité de la société. Des jeunes filles, des femmes âgées et des lycéennes, en groupes ou en couples, prenaient du plaisir à fumer la «chicha». Avec ou sans voile, l'habit ne fait pas la différence. Même les femmes voilées fumaient sans aucune gêne leurs cigarettes.
«On ne badine pas avec le statut»
Les droits de la femme sont des acquis sacrés. On ne revient plus là-dessus. Ils sont incrustés dans la Constitution. Nul n'ose les bafouer. «On ne joue pas avec le feu», rehausse Fériel, une journaliste tunisienne avec une forte assurance pour dire que les lois sont strictement appliquées.
Rencontrée lors du 3e Congrès de l'Organisation de la femme arabe, qui s'est déroulé du 28 au 30 octobre dernier à Tunis, cette rédactrice d'une revue féminine était très passionnée par le sujet. «Vous pouvez circuler librement tard dans la nuit et vous ne risquez ni d'être agressée ni embêtée», nous explique-t-elle en précisant toutefois que «les hommes risquent la tôle dans ce cas».
Des amendes et mêmes des peines de prison sont imposées à l'encontre du sexe masculin.
Pour cette rédactrice, les femmes tunisiennes ont les mêmes droits que celles de l'Occident. Protégée par la loi, la femme tunisienne s'est réellement libérée de l'emprise de l'homme. Preuve à l'appui, souligne notre collègue, la polygamie, la répudiation sont interdites. Le débat sur ces sujets n'existe plus. La Tunisie a clos la parenthèse depuis des décennies. Le pays de Ben Ali consacre l'égalité entre la femme et l'homme.
Le Code de statut personnel, le droit de vote, la loi sur le harcèlement sexuel sont autant de garanties qui offrent une couverture épaisse à la femme tunisienne. Son statut lui octroie une place à part dans le monde arabo- musulman. Un constat confirmé lors du 3e Congrès de l'Organisation de la femme arabe, présidé par l'épouse du chef de l'Etat, Mme Leïla Ben Ali.
Dans les débats, le décalage sur les droits de la femme était remarquable. Alors que les dames chez Ben Ali ont accompli un grand pas en avant, ailleurs elles souffrent encore de l'emprise de l'homme et de la mésestime de la société.
Les participantes au congrès étaient unanimes à dire que l'expérience tunisienne est un modèle à suivre.
La Première Dame du pays veut octroyer à ses consoeurs une place capitale dans la société. Une ambition affichée en prime à travers le slogan du congrès, à savoir: «La femme, un partenaire incontournable dans le développement durable.» Connue pour la lutte acharnée qu'elle mène dans ce cadre, Mme Ben Ali promet que son pays va oeuvrer à l'amélioration de la condition féminine dans le monde arabe.
«La Tunisie continuera d'être un soutien à l'action arabe commune dans tous les domaines», a rassuré Mme Ben Ali lors de son discours de clôture. «La femme tunisienne a prouvé sa force et sa compétence dans plusieurs domaines, il est temps de lui procurer la place qu'elle mérite», a encore insisté la présidente de l'organisation, avec détermination. Selon les estimations de la Banque mondiale en 2007, 26,6% de la population active tunisienne étaient constitués par des femmes. Elles représentent 59% des étudiantes et 27,6% des parlementaires. Les Tunisiennes veulent s'impliquer en force dans la vie publique. Une ambition, un défi affichés par plusieurs d'entre elles.
Le bonheur des uns fait le malheur des autres
L'adage s'applique bien aux Tunisiens. La force des femmes tunisiennes, soutenues par la loi, dérange de l'autre côté. Les hommes machos ont du mal à digérer cette évolution. «C'est trop pour nous», se plaint Youcef. Pourquoi? lui demande-t-on. «Elles veulent inverser les règles», rétorque-t-il avant de donner libre cours à sa pensée. «Vous savez, les femmes demandent trop, elles veulent travailler et laisser les hommes à la maison pour s'occuper des enfants et du foyer», murmure-t-il avec un sourire ironique.
Le sujet l'accroche au point de nous faire part de ses intentions. «Je ne veux pas épouser une Tunisienne», nous confie Youcef. Ce jeune ne cherche même pas à connaître les filles de son pays. N'ayant pas encore bouclé la trentaine, il s'est fait une idée claire dans sa tête: chercher l'âme soeur ailleurs. «J'ai établi des contacts avec des étrangères», poursuit-il.
Interrogé sur les raisons de ce choix, il observe une pause avant de lancer: «Les femmes ont leur mot à dire et la loi leur donne raison.» Ce chauffeur de taxi finit par lâcher: «C'est la femme qui dirige.» Cette phrase résume en quelque sorte le poids de la femme dans le pays voisin.
Malgré la force de la loi, le sexe masculin a du mal à admettre certaines conditions et comportements.
«C'est bien que la femme soit évoluée et obtienne ses droits mais pas au détriment de l'autre», reconnaît un cadre tunisien croisé à bord du vol Alger-Tunis. Ce jeune homme estime que les femmes ont mal exploité ces acquis. Pour lui, il ne faut pas s'éloigner des règles de la nature et de la religion. «Consacrer l'égalité entre l'homme et la femme est une bonne chose, mais il faut prendre en considération le caractère religieux et aussi respecter les règles de la nature», soutient-il. Cinquante-quatre ans après la promulgation du Code du statut personnel de la femme par l'ancien président, feu Habib Bourguiba et malgré la force de la loi, les hommes refusent cette situation. Ils se sentent un peu victimes de la libération de la femme, et voient une sorte d'atteinte à leur virilité. Ce qui explique le phénomène de la violence à l'égard des femmes.
Stratégie contre la violence à l'égard des femmes
Malgré la force de la loi, l'homme refuse de renier ses habitudes et ce sentiment qu'il est seul maître à bord. Sa tolérance a des limites au point que beaucoup d'entre eux dépassent les lignes rouges. Les cas de violences confirment que le phénomène prend des proportions alarmantes.
Selon des enquêtes organisées par l'Office national de la famille et de la population (Onfp), 55% des femmes battues le sont 2 à 4 fois par an, dont 11,2% portent des blessures graves. Fractures, plaies ayant nécessité des points de suture, avortement, troubles psychiatriques sont autant de cas signalés. Dans 20% des cas, un moyen physique a été utilisé, tel que l'arme blanche, rasoir, bâton, pierre et fouet. Les agresseurs sont le mari, la belle-mère, la belle-soeur ou même le fils.
Dans 71% des cas, la victime n'a pas précisé l'identité de son agresseur». Mais ce phénomène reste toujours un tabou en Tunisie. Une femme sur cinq demande que lui soit délivré un certificat médical initial.
Les statistiques démontrent que 70% des femmes battues sont mariées, 19,3% célibataires et 1,1% divorcées. Et 81,9% des actes de violences sont perpétrés au foyer, 12,5 en lieu public.
M.Brahim Abderrahim, représentant de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a exposé le Rapport mondial sur la violence, pense que la violence familiale en Tunisie ne cesse de s'étendre. Elle est exercée sur les enfants, les personnes âgées et les femmes, qui continuent de subir des agressions de leurs conjoints. Pourtant, bon nombre des médecins tunisiens ne considèrent pas la violence domestique comme étant un problème de santé publique.
Or, il est un fait actuellement: les femmes battues en Tunisie représentent un taux important de dépressions et de suicides. Cet état des lieux est confirmé par des chiffres qui traduisent en effet le malaise de plusieurs couples tunisiens. 44% de ces couples vivent des conflits conjugaux. Et ce sont les femmes qui en paient la facture. Elles sont agressées tant au niveau psychologique que physique.
Cette frustration qui s'accroît au fil du temps ne leur permet pas de rompre le silence.
Tout au contraire, elles amorcent une descente aux enfers qui n'en finit pas. D'ailleurs, lorsqu'elles portent plainte, au meilleur des cas, elles se rétractent aussitôt que les procédures prennent une tournure sérieuse. Sur 6000 plaintes déposées par des femmes battues en 2000, seules 0,3% ont abouti.
Pour le reste, les victimes sont terrorisées par les menaces de représailles. D'où l'engagement de la Première dame du pays à engager de toute urgence une stratégie nationale de lutte contre la violence à l'égard des femmes.
Lors du congrès, elle a appelé les pays arabes à la mise en oeuvre des études statistiques susceptibles de refléter la réalité et l'ampleur du phénomène. Le but est de «briser le mur du silence» en incitant les femmes à dénoncer ce phénomène.


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