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«L'imagination face à la force du commerce»
RENCONTRE AVEC L'ECRIVAIN TCHADIEN NIMROD
Publié dans L'Expression le 29 - 11 - 2010

«Ce n'est pas une question d'argent. Il faut se donner les moyens afin que notre imagination soit! se donner les moyens d'être les gestionnaires de notre imaginaire.»
Diplômé en philosophie sans doute pour «fuir» les desseins théologiens de son père prêtre, ou de se venger d'un lourd héritage à porter un prénom qui lui a valu pas mal d'emmerdes (petit symbole biblique qui correspond au constructeur de la tour de Babel) Nimrod, à l'apparence d'enfant sage, est éloquent mais se permettant des blancs de silence, est un écrivain bien sous tous rapports. Cela va de soi. C'est un poète avant tout.
Après le printemps dernier où il a connu Alger en avril dernier, c'est en hiver qu'il nous revient pour entamer le nouveau cycle (2010/2011) des rencontres Diwan Abdellatif contractées avec la maison d'édition Actes Sud et qu'organise l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel. Ecrivain du réel car admettant volontiers les drames du monde sans résignation, c'est presque avec désinvolture qu'il en parle dans la conférence qu'il a animée samedi dernier dans la bien-nommée salle de Riad El Feth, Frantz-Fanon.
De cette partie autobiographique qu'il convoque dans ses romans pour être le plus près de ses lecteurs, il fait de la fiction, sans se départir du bagage ingurgité simplement assumé. Notre fin baudelairien averti, non sans une certaine once de nostalgie, est présenté en préambule par cette ancienne enseignante en littérature à Bouzaréah Mme Ghebalou.
Le mot mesuré et la lèvre dessinant par moments des sourires complices, l'écrivain note deux sillons que son écriture se plaît à tracer: celle qui relève de la fiction (le roman) et les récits autobiographiques que l'on peut retrouver dans ses deux livres le Départ et l'or des rivières.
Pour notre conférencier aussi il y a deux types d'écrivains, celui pour qui le récit importe et l'autre qui raconte des histoires comme on raconte un poème, en faisant attention à la justesse des mots et aux accords musicaux, contrairement à ceux qui abattraient des livres en six mois. Lui? Comme Zola ou Flaubert (il les cite), il fait partie de la deuxième catégorie bien entendu. Ça va de soi.
C'est un poète, rappelons-le! Se souvenant de ses débuts mitigés dans l'écriture, Nimrod en parle avec lucidité et une sérénité déconcertante. «J'en ai fait en 20 ans des livres mauvais, des tentatives avortées, insupportables». Et puis la consécration pour lui est venue avec la publication du roman Les Jambes d'Alice (2001), un roman qui se fait à tous les coups voler de sa bibliothèque. Une anecdote que Nimrod se plait à raconter.
«Un roman fait fragments, un livre en rupture» dit-il malgré les apparences. «Le premier personnage c'est le paysage. Ici j'ai pu enfin établir l'équilibre entre l'humain et le paysage, ce dernier étant plutôt l'apanage de la poésie...» Ecriture d'un poète? s'interroge Mme Ghebalou. Et Nimrod de rétorquer: «Je crois que c'est un défaut, mais je la revendique en tant que telle!» Mieux, c'est, dit l'auteur, est une écriture «préméditée», comprendre «bien préparée» qui assume pleinement le passé pour pouvoir innover et prétendre à la modernité. Pour Nimrod, être à l'avant-garde justement est ne pas renier son passé.
Le traitement de la création se doit de passer par ces deux mouvements. Aussi, pour toucher le lecteur, selon lui, l'écrivain se doit de se dévoiler et aimer ses personnages, fussent-ils des dictateurs, des sanguinaires. «Pour écrire l'histoire, il faut que ça frémisse.» Déplorant l'absence de modèle dans la littérature africaine, Nimrod reconnaît que celle-ci est née de la littérature européenne tout en imputant une forme de paresse aux critiques africains.
Evoquant le concept qui lui est cher, celui de la littérature/monde, Nimrod fait remarquer que la littérature n'a de force que si elle est mondiale. «La littérature en soi est un pays. C'est la manière d'en parler qui compte, une histoire locale peut devenir universelle. Je suis écrivain tchadien d'expression française», dira-t-il en substance pour décrier certains écrivains qui nient leur origine africaine en préférant se définir comme «français.»
Il ajoute deux minutes après: «L'ambiguïté c'est une très bonne chose.» Abordant la problématique de se faire éditer et lu chez soi face à un monde ployé sous la crise financière, Nimrod qui ne s'étalera pas trop sur la question car relevant d'une réalité implacable à ses yeux, dira qu'il n' y a de guerre ou de force que dans le commerce. Et de faire remarquer: «Si on laisse à la littérature la force du commerce, on mourra à petit feu. Ce n'est pas une question d'argent. Il faut se donner les moyens afin que notre imagination soit! se donner les moyens d'être les gestionnaires de notre imaginaire.» Evoquant la part du poète qui est en lui, Nimrod dira qu'on ne le devient pas à 70 ans, mais à 4 ans puis cela se confirme pleinement à l'âge de 40 ans. «Je ne savais pas qu'à partir de Baudelaire j'allais me construire, je l'ai su après mes 30 ans.» Nimrod avouera par ailleurs vouer une adoration spécifique à Baudelaire mais également à Mallarmé car ayant tracé par «les mouvements souterrains de leur écriture un chantier vers notre modernité». Des poèmes qui, selon lui, regorgent de récits qui remontent à très loin, notamment à Homère. Et la valse des questions/réponses continue allègrement.
A propos de la littérature algérienne, Mme Ghebalou semble poser une colle à Nimrod quant à vouloir connaître ses poètes ou auteurs algériens lus ou préférés. Nimrod qui, apprend-on, avait un projet d'une anthologie regroupant justement des poètes algériens, se félicite que ceux qui l'avaient touché, affirmant que ce sont les auteurs de langues arabe et kabyle, outre Dib et Yacine qu'il connaît très bien pour avoir longtemps accompagné le mouvement de la négritude sur Présence africaine, le magazine. A une question de M. Karim Cheikh des éditons Apic sur la situation du livre au Tchad, Nimrod qui reconnaît que l'Etat subventionne le livre, regrettera tout de même que «les autorités n'accordent aucun intérêt pour la promotion de la culture au Tchad». Et de finir cette rencontre avec cette phrase à méditer: «On ne peut faire que ce qui est en accord avec soi-même...»


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