Coup d'épée dans l'eau ou lent poison instillé dans les relations internationales, les télégrammes des Etats-Unis publiés depuis deux semaines par WikiLeaks révèlent peu de grands scoops, mais ont suscité dans le monde des aigreurs à l'égard de la première puissance mondiale. Environ 1200 des 250.000 mémos obtenus par WikiLeaks ont été dévoilés à ce jour et il est trop tôt pour tirer des conclusions sur les nouveaux rapports de force qui pourraient en découler, comme sur l'évolution des conflits en cours. Mais la divulgation par de grands journaux de ces câbles mettant à nu la politique étrangère américaine peut créer des opportunités de recadrage pour les diplomaties. Les mémos sur les ambitions nucléaires de l'Iran ont révélé une convergence d'intérêts entre Israël et ses voisins arabes. La Chine, présentée de manière peu favorable, a espéré que l'affaire WikiLeaks «n'affectera pas (ses) relations avec les Etats-Unis». En Europe, la France a dénoncé «l'irresponsabilité» de cette diffusion, en assurant n'avoir «pas subi de préjudice». La publication d'entretiens pourrait menacer la vie d'interlocuteurs de diplomates américains, estiment des experts, même s'il est avéré que la manipulation fait partie du jeu. D'autres pays, comme la Pologne, ont davantage souffert. Varsovie, qui a beaucoup misé depuis dix ans sur Washington, s'est rendu compte qu'il n'était pas un partenaire si privilégié. «Nous avons réellement un problème grave (...) de perte des illusions sur le caractère des relations entre différents pays, y compris des alliés aussi proches que les Etats-Unis et la Pologne», a admis le Premier ministre, Donald Tusk. Ainsi, la Pologne pourrait miser encore plus sur l'Europe, y compris dans des domaines comme la défense et la sécurité, estime un haut responsable européen. Pour le président russe, Dmitri Medvedev, les fuites «montrent au monde entier le cynisme des appréciations et des raisonnements qui dominent dans la politique étrangère» des Etats-Unis. Il est dépeint comme «falot et hésitant», le Premier ministre Vladimir Poutine comme le «mâle dominant» de la scène politique russe. Au-delà de l'anecdote, les mémos américains diffusés jusqu'à présent dressent des portraits peu flatteurs de plusieurs autres dirigeants. Là aussi, c'est sur la durée qu'apparaîtront d'éventuelles répercussions sur les relations entre chefs d'Etat, cruciales dans un monde multipolaire. L'Allemande Angela Merkel est jugée «rarement créative», le Français Nicolas Sarkozy «impulsif», l'Italien Silvio Berlusconi «imbu de lui-même», tandis que le Britannique David Cameron est accusé de «manquer de profondeur». Le Turc Recep Tayyip Erdogan «s'est entouré d'un cercle de conseillers qui le flattent, mais le méprisent», selon des diplomates américains, pour qui son ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, est «exceptionnellement dangereux». Le dirigeant libyen Mouammar El Gueddafi a ainsi estimé que WikiLeaks avait un rôle «très utile» pour mettre à nu «l'hypocrisie américaine». Sur son continent, l'Afrique, les mémos traduisent un intérêt croissant des Etats-Unis pour une région en pleine croissance. L'implication de Washington dans la lutte antiterroriste au Sahel y est soulignée. L'ex-président sud-africain Thabo Mbeki, actuel médiateur de l'Union africaine (UA) en Côte d'Ivoire, n'échappe pas aux portraits au vitriol, en étant qualifié d'«irrationnel» et d'«hypersusceptible». Concernant le Moyen-Orient, la divulgation des mémos, qui ont créé parfois des «malentendus», a eu le mérite de faire parler des dirigeants arabes souvent avares de commentaires publics. Pour neutraliser le programme nucléaire iranien, les monarques saoudien et bahreïnis ont explicitement réclamé aux Américains une intervention militaire, le roi Abdallah d'Arabie demandant même à Washington de «couper la tête du serpent».