Le site WikiLeaks a réussi à se procurer 250 000 télégrammes diplomatiques provenant du département d'Etat à Washington et de 270 ambassades et consulats américains dans le monde. Ces télégrammes, dont 90% environ couvrent une période allant de 2004 à mars 2010, dévoilent l'arrière-cour de la diplomatie US. Et quelques pratiques peu orthodoxes usitées au niveau de ses ambassades. C'est pratiquement toute la diplomatie mondiale qui est dévoilée dans ces notes, mémos et câbles, qui révèlent surtout les pratiques peu orthodoxes auxquelles se livrent les diplomates américains à l'étranger : vols de numéros de codes (accès internet, comptes bancaires, mots de passe d'ordinateurs…), de secrets médicaux, groupage sanguin, ADN, enquêtes de moralité sur les hommes politiques, enfin, rien de ce qui peut servir les intérêts américains n'est négligé. En plus du travail habituel de recueil de données sécuritaires et d'intérêt stratégique, on rapporte aussi que les secrétaires d'ambassade, voire les ambassadeurs, sont encouragés à «faire les poches» de leurs invités en vue de recueillir toute information pouvant les renseigner sur leur personnalité, leurs goûts et leurs penchants… De quoi rendre méfiant tout visiteur qui franchit les portes d'une représentation diplomatique américaine, indique-t-on, car la divulgation de ces notes, outre qu'elle représente un véritable «revers historique» pour l'Administration américaine, contraindra désormais ses diplomates à changer leur manière de faire la diplomatie. Les 250 000 documents en cours de traitement par 5 grands quotidiens de la presse internationale (The New York Times aux Etats-Unis, The Guardian en Grande-Bretagne, Der Spiegel en Allemagne, El Pais en Espagne et Le Monde en France) seront publiés au fur et à mesure par Wikileaks et ce, après que les noms et identités des personnes à protéger soient masqués. Les cinq journaux se sont entendus en effet sur l'établissement des listes communes de personnes à protéger, notamment dans les pays dictatoriaux, criminalisés ou en guerre. WikiLeaks a accepté de ne pas diffuser dans l'immédiat les 250 000 télégrammes. Seuls les mémos ayant servi à la rédaction des articles des cinq journaux seront, après protection des identités, publiés. Des appréciations singulières sur les personnalités politiques Selon les diplomates américains, Silvio Berlusconi est une personnalité «politiquement et physiquement faible», qui plus est épuisé par ses appétences sexuelles démesurées. On le trouve également «irresponsable», «narcissique» et leader parfaitement «inefficace». Nicolas Sarkozy a été qualifié par les collaborateurs de l'ambassade américaine à Paris de personne «autoritaire et susceptible», qui se montre grossier dans ses rapports avec ses collègues. Angela Merkel, selon un télégramme, «marche sur des œufs», «fait rarement preuve d'imagination» et est relativement «arrogante». Le Premier ministre russe Vladimir Poutine est décrit comme un «mâle dominant» et le président russe Dmitri Medvedev de dirigeant «hésitant». Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, «hait tout simplement Israël», écrivent des diplomates américains à Ankara. Ahmed Wali Karzaï, frère du président afghan Hamid Karzaï, est décrit comme «largement corrompu et impliqué dans le trafic de drogue» dans le Sud. Plus grave, on révèle que le roi Abdallah d'Arabie Saoudite a appelé les Etats-Unis à attaquer l'Iran pour mettre fin à son programme nucléaire, et cette révélation a fait violemment réagir les autorités de Téhéran qui parlent de «manipulations» américaines destinées à entamer les relations de confiance entre l'Iran et les pays arabes. Des notes comparent le président iranien Mahmoud Ahmadinejad à Adolf Hitler. Ban ki moon – et le personnel influent de l'ONU – fait l'objet d'une attention très particulière. Tous ses faits et gestes sont notés, et même ses intentions décryptées. Les membres de délégations diplomatiques de puissances telles la Russie ou la Chine subissent le même type de surveillance. Des Américains actionnaires dans des entreprises en Algérie Plusieurs notes concernent les pays d'Afrique du Nord et du Sahel. Le département d'Etat ne s'intéresse pas seulement à la situation sécuritaire mais aussi au trafic de drogue et au crime transnational. Une directive datant d'avril 2009 demande aux ambassades américaines situées dans des pays comme le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal, de collecter le maximum d'informations sur le terrorisme. Les diplomates sont aussi tenus d'informer le département d'Etat des relations entre les narcotrafiquants dans la région et les cartels sud-américains de la cocaïne ainsi que la manière dont les groupes terroristes de la région tirent leurs revenus du trafic de drogue. Des mémos de l'ambassade américaine à Alger seront publiés dans les prochains jours. Selon notre confrère El Khabar, le créateur de Wikileaks lui aurait confié qu'«on retrouve les noms de hauts responsables américains qui détiennent des actions et des prises de participation dans des investissements US en Algérie». Après la diffusion par WikiLeaks de rapports militaires du Pentagone sur les guerres d'Afghanistan en juillet, puis d'Irak en octobre, cette fuite de câbles diplomatiques est un troisième revers pour l'administration américaine. Elle risque surtout de ternir l'image de nombreux gouvernants et monarques en dévoilant au monde leurs véritables intentions.