«Les clameurs de Belcourt sont parvenues jusqu'à Manhattan» (Krim Belkacem) Par cet écrit-témoin, je souhaite apporter ma modeste contribution concernant l'écriture de l'histoire de notre glorieuse Révolution qui a été couronnée par l'Indépendance nationale. Mon souhait le plus cher est que cet hommage soit rendu par l'histoire aux «Belcourtois» pour leur sacrifice dans le déclenchement de la grande manifestation du 11 décembre 1960 enclenchée en fait dès le 10 décembre 1960 à 17h. Je suis l'un des jeunes qui ont grandi à Belcourt (au 9, Boulevard Cervantès) et qui ont participé à ces manifestations. Depuis son arrivée au pouvoir, le général de Gaulle accorda à l'armée les pleins pouvoirs et assura son renforcement en équipements militaires et en effectifs très importants. En visite en Algérie à cette époque, De Gaulle devait prononcer un discours à Alger. Cette visite avait suscité certaines réactions de la part des français «pieds noirs» d'Algérie: (levée de drapeaux-slogans anti-arabes haineux...). Nous avons réagi à ces provocations en faisant un tintamarre en tambourinant sur des casseroles et en procédant à la destruction de magasins à l'aide de pavés qui couvraient les ruelles du quartier. Une bagarre s'en est suivie ce jour-là (10 décembre) entre nous, jeunes Algériens, et des Français pieds-noirs. Ces derniers ont vite fait de prendre la poudre d'escampette en hurlant: «Fermez les portes, les Arabes arrivent!» Au même moment, femmes et hommes s'étaient joints à nous en brandissant des drapeaux algériens vert et blanc frappés du croissant et de l'étoile de la couleur du sang de nos glorieux martyrs. Réunis devant l'ex-monoprix de Belcourt vers 19h00, nous avions emprunté en groupe, l'itinéraire suivant: L'allée des Mûriers, Dar El Babor, Chemin Fontaine Bleue, Clos Salembier. Au cours de notre progression, les habitants de Belcourt sortaient de chez eux pour se joindre à nous. Comme j'étais au premier rang, je voyais le cortège s'agrandir à chaque fois que je me retournais. La manifestation étant improvisée, nous n'avions croisé aucun barrage militaire ou de police. Les habitants du Clos Salembier qui avaient eu vent de notre marche, nous attendaient avant de se joindre rapidement à nous. Durant cette soirée historique, plusieurs voitures ont été détruites ou endommagées et des villas de certains officiers-colons saccagées. Des coups de feu retentirent à partir de certains balcons et fenêtres d'habitations de colons. Plusieurs blessés ont été déplorés. Vers 21h00, nous avons été encerclés par des camions de parachutistes (Bérets verts). Arrêtés, nous avons été emprisonnés dans une villa coloniale à l'ex-La Redoute (aujourd'hui El Madania), qui servait de lieu de torture. Un colonel nous a posé des questions et m'a cogné brutalement à cause de l'audace de mes réponses. Nous étions une cinquantaine de personnes dans cette villa et avions passé la nuit debout dans une «cellule» de 8 mètres carrés! Au petit matin, dimanche, 11 décembre 1960 à 7h00, j'ai entendu un bruit sur la porte de la cellule, un soldat est venu ouvrir la lucarne pour contrôle. Je lui ai demandé de nous apporter de l'eau, mais je n'ai pas eu de réponse, et le soldat, nous a annoncé que nous allions être libérés. Par empressement, nous avons tous répondu qu'on allait rentrer chez nous pour éviter notre transfert dans une caserne. Le soldat nous apprend avec un sourire qu'il était un appelé (conscrit) et que notre manifestation de la veille avait pris une proportion très importante à travers tout le pays. Cette information m'a été confirmée plus tard par un ami avec lequel je m'étais inscrit pour poursuivre mes études secondaires à l'école des Soeurs. Il était de permanence lorsqu'ils (les militants du FLN) ont reçu un appel de Tunis pour s'enquérir de ce qui s'était passé à Belcourt avant de donner instruction de poursuivre dimanche la manifestation à travers tout le pays. Une fois libérés et de retour chez moi, j'ai retrouvé ma mère abattue et en pleurs entourée de nos voisins, elle me croyait mort cette nuit-là. Les jeunes Belcourtois n'ont jamais cessé de manifester leur colère contre le colonisateur et son armée composée de parachutistes assassins. Nous étions tous fichés au 2e bureau de renseignements relevant de la SAS sous le commandement du capitaine Bernard et la direction d'un lieutenant dont je n'ai pas retenu le nom.