A la façon des derviches tourneurs, les danseurs de Sebeiba redoubleront d'ingéniosité jusqu'à l'épuisement: l'extase. La légende fait remonter l'origine de Sebeiba à la célébration de la mort du «pharaon» qui périt dans la mer Rouge en poursuivant Sidna Moussa. Ne présentant cependant pas de connotations religieuses marquées, il est cependant difficile de la faire adhérer à une manifestation de ce type. Le mythe qui l'entoure est sujet à caution, car il ne présente pas une élaboration stricte et solidement structurée. Dans la manifestation de Sebeiba, les principaux supports sont le chant et la danse. Les caractères symboliques demeurent le produit du groupe. On doit donc surtout insister sur l'histoire passée de son peuple, ses origines et la précarité de sa condition. Danse caractéristique de la ville de Djanet, située à quelque 400 km du chef-lieu de la wilaya d'Illizi, Sebeiba est exécutée exclusivement par les hommes, au rythme des gangas (tambourins), et jouée essentiellement par les femmes. Elle a lieu tous les ans à la même époque, le jour de l'Achoura. Les préparatifs qui entourent cette fête qui n'a pas son égal ailleurs, ont pris fin mercredi soir. Ils ont battu leur plein depuis une dizaine de jours. Répétitions, supports chorégraphiques, réparation des instruments de musique (gangas: tambourins) et sélection des danseurs qui doivent représenter les deux ksour en lice. El Mihane et Azzelouaz, rivaux d'un jour à l'occasion de ce rituel ancestral. C'est à un crieur que revenait, il y a bien longtemps déjà, la tâche et l'honneur d'annoncer Talit-en-Sebeiba après s'être assuré de la vue du croissant de lune naissant: le mois de Sebeiba. Les préparatifs peuvent commencer et durent ainsi jusqu'au dixième jour: Tilallin qui coincide avec le jour de l'Achoura. Il désigne aussi le lieu où se déroulera la danse de Sebeiba. Tôt le matin, les habitants affluent vers l'oued de la palmeraie, l'oued Idjeriou, où doit avoir lieu la cérémonie. Les joueuses de gangas des deux ksour battent le rappel au cours duquel doit émerger la maîtresse de ballet. Celle dont l'instrument possède la meilleure sonorité et le bon rythme. Les danseurs pénètrent dans l'arène suivis par les musiciennes, alors que non loin suivent la chorale, les Chet-Aggaï. Tout cela se déroule selon un scénario bien précis. Les danseurs du ksar d'El Mihane pénètrent dans l'arène, du sud vers le nord, alors que ceux d'Azzelouaz du nord vers le sud. Ils tournent de la droite vers la gauche. Le rythme imprimé par le son des gangas devient plus rapide, proche de la transe. Tanfar, cette forme de communion qui atteint son paroxysme, accompagné par les Taghalalit des Chet-Aggaï et des joueuses de gangas est un des moments forts de la chorégraphie. Tout s'emballe: Sebeiba fait tourner les têtes. On dit que «dans Sebeiba, tout danse, tout tourne, le coeur, la tête, les bras». Brandissant leurs takoubas (épées) et un foulard dans chaque main, les danseurs se libèrent alors de leurs musiciennes. Imprégnés du rythme qui leur a été imposé, ils évoluent à leur guise dans leur propre camp ou investissent le camp adverse. Sebeiba n'est, cependant, pas à proprement parler qu'une danse, le lien qui l'unit au quotidien, sa célébration, sont strictement ordonnés et lui confèrent une cohérence qui l'éloigne de toute spéculation prêtant à confusion. Cette cérémonie, qui fait intervenir des éléments chorégraphiques: costumes, takoumbout, bijoux, pendentifs pectoraux... a un rôle où les scénarios sont réglés avec précision. Les couleurs de base des vêtements sont les mêmes pour tous les acteurs: le blanc et le noir. Une des caractéristiques des accessoires de la Sebeiba est la takoumbout, coiffe en laine de couleur pourpre ornée de trois rangées de bijoux triangulaires en plus d'une autre de forme carrée, en argent. Les danseurs ainsi coiffés portent des serouels: ikarbiène, des chèches de couleur rouge et noire tressés autour de la taille, leurs poitrines sont barrées d'écharpes en diagonale, de couleur blanche qui rappellent les personnages gravés sur les parois des gravures rupestres du Tassili n'Ajjer. D'autres décorations en laine terminent ce superbe ensemble géométrique. Les danseurs, qui évoluent ainsi et entièrement voilés, nous renvoient aux lointaines danses masquées africaines. C'est l'exhibition des tikemssin: larges tissus dont les bras tendus des danseurs à l'horizontale font penser à des chauves-souris. Un jury formé de membres des deux ksour choisissent ce moment pour désigner le ksar vainqueur. Une victoire symbolique entre ces rivaux d'un jour. Des signes empruntés à la faune jusqu'aux idéogrammes, nous assistons à l'émergence d'un art consommé du graphisme qui occupe l'espace targui et constitue sa ligne de force, à l'exemple du grand pendentif pectoral (téréout) qui, outre l'esthétique de son tracé géométrique, véhicule un mode de communication dont le triangle est un élément de base. Un symbole incontournable de la société targuie. Il protège l'homme contre l'esprit du mal. Contre le mauvais oeil. Cet attachement à l'abstraction de l'art berbère fait penser aussi à des manifestations de l'art nègre. La spécificité de Sebeiba réside surtout dans sa manière d'investir l'espace de la vie quotidienne et de sa structuration du temps, marquée par une genèse: l'opposition nature-culture. A la façon des derviches tourneurs, les danseurs de Sebeiba redoubleront d'ingéniosité jusqu'à épuisement: l'extase. Sauf qu'ils ne représentent aucune confrérie ou ordre. Leur «voie», leur «chemin» mène vers la nuit des temps. Sebeiba demeure un mystère. Elle n'est pas près de livrer tous ses secrets.