Le livre que viennent de publier les étudions Koukou se lit d'une traite. Surtout lorsque le lecteur est un passionné de la langue berbère, aujourd'hui nationale, mais, il y a trente ans, combattue par tous les moyens. L'originalité de cet ouvrage réside dans le fait, qu'en plus des témoignages poignants de plusieurs animateurs des événements d'avril 1980 à Tizi Ouzou et Alger, le lecteur pourrait aussi avoir les missions des officiels qui occupaient des postes directement liés à la gestion de ces événements. De tous les témoignages contenus dans ce livre, celui du Dr Mouloud Lounaouci est l'un des plus bouleversants. Ce dernier qui faisait partie des 24 détenus a eu le réflexe de consigner, du temps où il était en prison, le moindre détail de ce qu'il vivait, de ce qu'il ressentait et de se qu'il pensait. C'est donc à un minijournal de prison auquel Mouloud Lounaouci convie le lecteur. Les jeunes, qui lisent ce livre, seront surpris. Aujourd'hui, tamazight est langue nationale, elle est enseignée dans les écoles publiques, elle est dotée d'une chaîne de télévision et aucun parti politique ni personnalité politique algériens ne pourraient faire l'impasse sur cette langue et culture sans se ridiculiser. Mais en avril 1980, la situation était tout autre. Dans ce livre, Salem Chaker, Ihsen El Kadi, Hacène Hirèche, El Hadi Khediri, Abdelhak Brerhi, Saïd Khellil, Ferhat Mehenni, Mouloud Lounaouci, Méziane Ourad, Mohand Ouamar Oussalem, Hamid Sveli Saïd et Aziz Tani livrent, chacun en ce qui le concerne, sa version du premier soulèvement populaire qu'a enregistré l'Algérie indépendante. Ainsi, comme le précise l'éditeur, pour la première fois, réunis dans le même ouvrage, des insurgés d'avril 1980 et des officiels, qui étaient aux premières lignes de défense du pouvoir, racontent le Printemps berbère: «Ils s'étaient affrontés avec conviction, parfois violemment, ils en parlent avec sérénité, sans haine. A des degrés divers, ils ont accepté de se découvrir sans fard, et pour certains, de livrer leur profonde intimité, n'occultant ni leurs angoisses, ni leurs doutes, ni leurs faiblesses». Arezki Aït Larbi, qui faisait aussi partie des 24 détenus d'avril 1980 sur lesquels Matoub Lounès a composé la chanson Yehzen El Oued Aïssi», explique que «l'ambition de ce livre n'est pas d'écrire l'histoire d'un mouvement qui a imposé un irréversible point d'inflexion à un régime autiste, mais de fixer quelques repères de l'insurrection citoyenne à travers les histoires multiples, profondément humaines et dans une subjectivité assumée, de quelques acteurs de premier plan, avec le souci, pour les uns de rendre compte de cette extraordinaire communion dans la quête d'un même idéal: la liberté, et pour les autres, d'exprimer le soulagement d'avoir limité les dégâts». Ceux qui s'attendront à des révélations fracassantes, en lisant ce livre, resteront sur leur faim, car depuis des années, les témoignages sur les évènements d'avril 80 pullulent, notamment à chaque célébration de l'anniversaire du Printemps berbère. Ce qu'il y a d'inédit, en revanche, dans cet ouvrage, ce sont les raisons du ministre de l'Enseignement supérieur de l'époque, Abdelhak Brerhi, du wali de Tizi Ouzou en 1980, Hamid Sidi Saïd et enfin de El Hadi Khediri, directeur général de la Sûreté nationale de 1977 à 1987 et ancien ministre de l'Intérieur. Le fait que ces derniers aient accepté de s'exprimer, constitue une avancée considérable dans notre pays voire qu'il s'agit d'un tabou qui vient d'être brisé. On apprendra, en lisant ce livre, que Hamid Sidi Saïd prépare un ouvrage sur les mêmes événements. C'est le cas aussi de Abdelhak Brerhi qui publiera aussi sa contribution afin de mettre la lumière sur cette page qu'on ne peut pas occulter de l'histoire contemporaine. Plusieurs questions ne trouvent pas de réponse à la lecture de ce livre comme celle de savoir, avec exactitude, qui a donné l'ordre d'interdire la conférence de Mouloud Mammeri ou encore pourquoi et qui est l'instigateur de la rumeur qui avait fait état de la mort de 32 manifestants, alors que les témoignages des responsables convergent sur le fait que leur préoccupation prioritaire consistait justement à ce qu'il n'y ait pas mort d'homme. Un résultat qui a été, du reste, atteint. Le mérite des acteurs du Printemps berbère est indéniable. Si aujourd'hui l'université et la Maison de la culture de Tizi Ouzou portent le nom de Mouloud Mammeri, c'est en grande partie grâce à eux, grâce aussi à des militants qui ne sont plus en vie, à des artistes ayant bravé les interdits du parti unique. Si tamazight est enseignée et est langue nationale, c'est grâce aussi au sacrifice de enfants du boycott. En somme, c'est grâce à toute la population, car chacun a participé à sa manière à la réappropriation de ce pan de notre histoire: l'amazighité. Tamazight a, pendant des décennies servi de cheval de bataille pour des intérêts matériels et de carrière. Aujourd'hui que cette langue est reconnue, personne ne peut dire que le but a été totalement atteint mais avance que rien n'a été acquis, c'est vraiment faire preuve de mauvaise foi et de cécité politique.