Cela fait 39 ans que ce réalisateur algérien, originaire de Chlef, vit en Suisse. Son rapport avec l'Algérie était dicté par une sorte «de haine et d'amour», aujourd'hui disparu car mûri. Mohamed Soudani a réalisé plus de cent films documentaires pour le cinéma. Avec Taxiphone, il signe son neuvième long métrage, un nouveau film quasi carte postale, où il règle ses comptes avec les tabous et travers de sa société d'origine. Un scénario adapté d'un roman écrit par un Suisse, faut- il le noter. Un scénario qui sonne un peu faux avec quelques personnages qui manquent de profondeur. Même si cela reste une histoire de fiction, on n'y adhère pas complètement car un peu invraisemblable, dû à la fragilité du scénario. Notons que Taxiphone a été présenté à Dubaï sous la bannière suisse et au Festival international du film arabe d'Oran sous les couleurs algériennes. L'Expression: Tout d'abord, pourquoi le désert pour un homme qui vit en Suisse depuis 39 ans? Mohamed Soudani: Parce que le couple qui vient au Sud a l'intention d'aller au Mali, en y ramenant un camion. Pour y arriver, on passe par le désert. C'est quelque chose de très emblématique. Les villes comme Alger, Oran ou Marrakech ont les a vues mille fois. Ce qui était intéressant, c'est d'être dans un no man's land, dans un lieu où l'on doit l'écouter, où il y a le silence. L'idée porte sur ce taxiphone et je ne pouvais pas venir à Alger et faire ce film là-bas. Le taxiphone dans le désert est très symbolique cinématographiquement. C'est un lieu où il n'y n'a pas beaucoup de bruit. C'est cela l'importance d'être dans le désert. Le taxiphone symbolise aussi la communication, ce qui permet ce lien social entre les gens, les mondes? Absolument! On dit que le désert c'est le vide alors qu'il est vivant. Le désert est un élément important pour être minimaliste aussi. Parce que je ne voulais pas raconter des gens dans la ville. En plus pour le voyage c'est un lieu incontournable. Deux personnages suisses arrivent dans le désert. Un décide de rester car, dit-on dans le film: «Quand on part, on se cherche et on finit par se trouver.» Est-ce le même cas pour vous qui habitez en Suisse en revenant dans votre pays d'origine? Je vais vous dire une chose: quand vous êtes au contact de votre réalité, vous ne voyez pas les choses. Quand vous êtes loin, vous vous rapprochez d'où vous venez. En dépit de tous les films que j'ai faits, je n'ai jamais oublié d'où je venais. Ça renforce l'esprit et plus on s'éloigne, plus on se rapproche. J'ai toujours dit à propos de mon film qui a eu un prix en 1998: «Celui qui ne sait pas d'où il vient il serait difficile pour lui de savoir où il va.» Même en vivant là-bas, j'ai beaucoup réfléchi. Maintenant, à 60 ans, je me rends compte que je dois faire des films chez moi. Cela veut dire: revenir. Mais, je n'ai pas changé. Je suis ce que je suis et je suis fier d'être qui je suis. Je crois que la réflexion de l'éloignement fait penser au lieu d'où l'on vient. La révolte des femmes dans le film, que représente-t-elle? Le cinéma n'est pas là pour distraire. Il est là pour raconter, faire bouger. Les femmes, dans une culture, ont un rôle très important. Le fait de ramener des gens qui cherchent à trouver du dialogue, vous avez quand la femme parlait à Saïd, il ne la regardait même pas. A propos de cette scène où ces femmes se révoltent dans le taxiphone, des femmes m'ont dit: «On l'a toujours pensé mais on ne peut pas le faire.» Le cinéma est fait pour ouvrir les portes. Et celle que l'on entend dire au taxiphone qu'elle veut quitter son mari? C'est tellement simple. Il faut qu'on cesse d'être hypocrite. Il y a des problèmes dans notre société. Cette fille parle de sa soeur qui est mariée à un homme dont on a compris qu'elle ne l'aime pas. Ce genre de choses on ne le dit pas. Quand on voit une scène d'amour, tout le monde se sauve. Alors que tout le monde fait l'amour. Le discours est qu'il faut qu'on soit clair avec nous-mêmes. On ne peut pas continuer à fuir la réalité. Beaucoup, à deux heures du matin, sont là à regarder Canal+. La liberté c'est aussi la manière avec laquelle on peut se raconter. Le cinéma est un moyen de lutte qui ouvre les yeux. Le prochain film que je compte réaliser portera sur les femmes, dont une veuve et une divorcée qui vont dire des choses. On ne peut pas continuer à cacher des choses. Notre culture pousse à l'autocensure. Quand ma soeur était meilleure que moi à l'école et plus intelligente, mon père disait, oui mais c'est une femme. Je ne peux accepter cette idée. On va dire que je suis un malade. Ce n'est pas grave. Ce qui est important est de sortir de l'hypocrisie. On n'a jamais vu dans un film un homme humilié devant une femme. Quand Saïd va vers la femme, il est en sueur, il est humilié par Madame Lassane qui lui dit: «C'est dommage qu'on soit arrivé jusqu'ici. Ensemble peut-être on va parler du futur...» C'est extraordinaire. Je ne vais pas faire de la révolution mais je crois que le cinéma sert à réveiller les instincts et les consciences. Le rapprochement entre Elena et Aya cela veut dire entre le Nord et le Sud? Il y a une fille qui vient d'Occident, elle est libre, elle sort toute seule. Elle drague un homme, elle flirte. Sa société le lui permet. Le hasard des choses lui fait rencontrer une femme dont l'homme est un immigré clandestin en Italie, elle a honte de le dire. En fait, Elena n'est pas restée, elle est revenue. Cette histoire est devenue un conte par ce monsieur. Elle n'est pas revenue pour Saïd mais pour être avec les filles. Cela veut dire que nous pouvons aussi influencer les autres à se retrouver. Car c'est une fille qui était perdue. Son ami lui dit: «Tu n'es pas venue avec moi, tu es venue par ce que tu te sauves de toi-même. Tu te caches à toi-même. Même la scène où elle se perd la nuit, est très forte. Cela veut dire que le désert est en train de lui donner des réponses à elle-même. Cela veut dire qu'on peut apprendre du Sud. Le fait de montrer le désert de façon répétée, presque folklorique, comme une carte postale avec ses fêtes du bijou, de la danse. Est-ce un parti pris? C'est une réalité qui est là. C'est ce qui se passe dans le désert. Vous remarquez que je n'insiste pas sur la dynamique de circoncision du garçon. Ce sont des éléments qui existent dans le désert que vous découvrez quand vous êtes là-bas. On peut les appeler folkloriques. La voyante c'est aussi symbolique. On vient d'une culture qui n'est pas cartésienne. L'histoire devient comme un conte que l'on raconte. Ce sont des choses qui permettent de dire aux autres: «Vous avez la technologie, nous avons l'humanisme.» Je crois aussi que ce film a très peu de musique mais beaucoup de silence. Aussi, le Touareg ce n'est pas du folklorique. Il existe vraiment. Les Européens ne sont pas des touristes mais des passeurs. Ces images sont des ornements esthétiques, pourrait-on dire. Les films américains que vous voyez sont beaux aussi. Quand on tourne à Chicago, il y a des tours, on tourne aussi à Las Vegas, avec tout ce que cela comporte comme images fantasmagoriques. Je suis fier de montrer ce qu'on a. Ce film poussera peut-être les gens à venir dans notre désert. Ce film a été récompensé en Slovénie du Prix du public. C'est extraordinaire. Ce film peut aider le tourisme. Quand on parle de la Suisse, où il neige, on montre des gens qui skient. Ici le réel, c'est le désert. Chacun peut interpréter le décor comme il le veut. Je vais vous dire une chose: mon pays ne vend pas bien le désert. Mon pays est 5 fois plus grand que la France. On n'a pas de touristes. Je crois qu'il faut de la promotion pour pouvoir faire du désert quelque chose d'extraordinaire. D'où le fait de montrer peut-être un peu beaucoup d'étrangers pour dire que ces derniers peuvent venir tranquillement dans le désert algérien et peuvent même s'y installer. Un message de paix à véhiculer? Vous vous rappelez quand la Suissesse parle à sa mère et celle-ci lui parle de terrorisme? Il s'agit de démystifier tout cela. Il y a des Occidentaux qui viennent au désert. Ils ne sont pas des millions. Moi j'ai vécu cette histoire avant de faire le film. Je suis parti dans un taxiphone à Djanet, pour appeler et j'ai rencontré des Allemands et des Italiens. Et j'ai rencontré un Allemand qui allait en moto au Mali. Bruno Ganz vient de l'Europe, il vient du même pays que l'actrice. Le fait d'avoir Bruno Ganz ça rapproche. Vous savez qui j'ai rencontré à Djanet? Omar Sharif! J'étais au taxiphone et je le vois sortir. C'est lui qui m'a donné cette idée. Je parle au gars du taxiphone, il me dit qu'il ne le connaît pas et qu'il vient ici tous les ans. Bruno Ganz rapproche l'Ouest du Sud. Cela veut dire que nous sommes loin et pas aussi loin. Vous êtes à New York et vous rencontrez un musicien ou le copain du voisin de votre quartier, cela rapproche. On n'est pas là pour faire la guerre, mais montrer qu'on est fort, qu'on a une dignité. On n'a rien à apprendre des autres mais on apprend mutuellement. La Suisse n'est pas revenue pour être une grande vendeuse, mais pour elle aussi. L'échange c'est, «je vous donne et je reçois.» Quelles ont été les conditions de tournage à Taghit? Vous savez, tourner au désert ce n'est pas comme tourner à Alger ou à Blida. Cela n'a pas été très facile. Taghit, je l'appelais dans le film «Tagh» tout comme j'ai nommé Tlemcen par «Tlem». Ce n'est pas un documentaire, c'est un film de fiction. On tourne dans une oasis, mais ce n'est pas important. Le spectateur, on doit le projeter dans un univers. J'aurai pu tourner dans le désert d'Arabie ou au Maroc. Ces lieux deviennent très importants quand ils racontent des choses. Je suis très content d'avoir présenté ce film en Algérie. J'ai un nouveau film intitulé Lionel et j'espère revenir pour le présenter, notamment ici à Oran, un festival accueillant mais qui demande à être développé. Lionel est un film sur des enfants et un lion, que j'aimerais bien ramener le jour de la présentation. L'histoire relate un peu mon enfance.