Un événement encourageant et honorifique dans le domaine de la culture a eu lieu fin décembre. Pour la Culture et le Développement, le Grand Prix Prince Claus 2010 des Pays-Bas a été décerné aux éditions algériennes Barzakh dirigées par Selma Hellal et Sofiane Hadjadj, co-fondateurs de ces éditions en Algérie, qui ont dix ans d'existence. Cela signifie que la bonne volonté peut réaliser des oeuvres humaines qui lient les peuples et enrichissent la culture. La passion des livres récompensée Ce prix prestigieux a été remis aux deux lauréats lors d'une cérémonie officielle organisée au Palais royal d'Amsterdam. L'ambassade des Pays-Bas à Alger organisera également, une cérémonie en leur honneur, dans le courant du mois de janvier 2011. Selon les recommandations du jury, le Grand Prix Prince Claus «est un hommage à la maison d'édition Barzakh pour la façon dont elle a donné une forme concrète aux voix algériennes, pour avoir ouvert un espace de réflexion critique tellement nécessaire sur les réalités algériennes, pour avoir construit une passerelle entre des langues et des cultures différentes, et pour avoir rompu de manière créative la menace d'isolation culturelle du pays». Depuis 1997, les prix de la Fondation Prince Claus pour la Culture et le Développement sont décernés chaque année à des artistes, des intellectuels et des organisations culturelles en Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans les Caraïbes. Ils ont pour objectif d'offrir à des personnes et à des organisations la reconnaissance et de nouvelles opportunités. La Fondation Prince Claus est une plate-forme d'échanges interculturels. En collaboration avec des intellectuels et des organisations à travers le monde, elle travaille à la réalisation d'activités et de publications témoignant d'une approche contemporaine de thèmes relatifs à la culture et au développement. Dans le désert culturel qui nous encercle, des maisons d'édition algériennes comme Barzakh sont une oasis d'espérance. Chez Selma et Sofiane cela part d'une passion: celle des livres. Après des études à l'étranger, architecture et lettres arabes pour l'un, sciences politiques pour l'autre, ils regagnent le pays et créent les éditions Barzakh en 2000. Au départ, ils veulent se consacrer à la seule littérature. Leur souhait est de donner à entendre la voix de jeunes auteurs de langue arabe et française, de leur offrir cette possibilité en rive Sud. Au service des auteurs algériens Ainsi, au service des auteurs algériens on été révélés des auteurs en langue arabe comme Bachir Mefti, Hmida Ayachi ou le poète Hakim Miloud, des romanciers de langue française comme Arezki Mellal, Mustapha Benfodil, Habib Ayyoub, Adlène Meddi et d'autres. Parallèlement, ils entreprennent de publier des auteurs classiques de la littérature algérienne tels Mohammed Dib ou Rachid Boudjedra, ou des auteurs de romans engagés comme Maïssa Bey et Amin Zaoui. Au fil des années, à l'écoute de l'Algérie profonde, ils élargissent leur catalogue à des essais historiques, des études et biographies littéraires et aux beaux livres. Ils développent des partenariats avec des maisons d'édition françaises. Des oeuvres d'auteurs algériens sont conjointement publiées avec des éditeurs européens, comme les Editions de l'Aube. Cinq fragments du désert de Rachid Boudjedra (Barzakh, 2001) a fait l'objet d'une édition exceptionnelle bilingue accompagnée d'illustrations de l'artiste Rachid Koraïchi. Enfin, la proximité avec les éditions Le Bec en l'air, a conduit à la publication de plusieurs ouvrages, dont le Guide culturel d'Alger (2007). Chez Barzakh, j'édite en 2006 mon ouvrage publié par Odile Jacob Islam - Occident Rencontre avec Jacques Derrida et sera bientôt en librairie mon prochain ouvrage d'actualité où je relate ma rencontre avec le pape Benoit XVI. Aujourd'hui, avec plus de 100 titres à leur catalogue, les éditions Barzakh poursuivent leur développement d'une culture de l'échange, qui donne à penser, par le rapprochement avec de nouveaux partenaires, comme l'Alliance des éditeurs indépendants (édition équitable avec des éditeurs d'Afrique subsaharienne), et les éditions libanaises Dar Al Jadeed. Décloisonner et désenclaver notre culture Sur le plan de l'animation culturelle, ils proposent des rendez-vous littéraires avec l'appui de partenaires privilégiés comme l'association Chrysalide, Librairie Mauguin, Galerie Benyaa, Librairie Chihab, Librairie du Tiers Monde, Espace Noûn. Ils initient une réplique algéroise des Rencontres d'Averroès de Marseille. Les premières Rencontres Ibn Rochd, sous le titre emblématique et interrogatif: Vivre ensemble? sont significatives. Barzakh se propose ainsi d'être le relais méditerranéen de l'aventure de l'esprit, ils co-organisent plusieurs colloques culturels phares, comme en juin 2006 ces Rencontres Ibn Rochd, premier volet de la rive Sud de la Méditerranée, des Rencontres d'Averroès qui se déroulent depuis 12 ans à Marseille. Cette édition des Rencontres Ibn Rochd a eu lieu avec un volet culturel. En décembre de la même année, Barzakh accepte d'animer et d'éditer le colloque international que j'avais initié sur les Traces de Derrida. L'édition se fait l'écho de la voix de grands intellectuels algériens, andalous et méditerranéens, symboles de l'esprit d'ouverture, du savoir, de la foi réfléchie et de l'audace. Il s'agit de concilier spécificité et universalité, foi et raison, authenticité et modernité. Cette jeune maison d'édition tente d'offrir une alternative éclairée aux dérives de notre temps, qui sont aussi celles de l'inculture et de l'incivisme. Médiateur entre les générations, entre les sensibilités, entre les deux rives, Barzakh se veut passeur d'idées et d'interrogations essentielles. Favoriser l'humanisation par le savoir et la connaissance et le vivre-ensemble sont parmi les nobles buts. Une vraie maison de la sagesse et de l'inventivité, qui se veut trait d'union, d'autant que «Barzakh» signifie bien à la fois le lieu de la rencontre, l'entre-deux, entre la vie et la mort; entre le fini et l'infini, référence à la Parole coranique sur ce sujet, à la littérature mystique arabe et tous les horizons à découvrir, à rouvrir en permanence. Si la culture nationale, riche et variée, devait retenir un seul mot d'ordre, ce serait celui de la passion de lire, celle des livres et du savoir. Des maisons d'édition, comme Barzakh, luttent contre l'isolement culturel, la vacuité ambiante et la faiblesse des échanges et des publications d'envergure. Le choix de ses responsables est clair et assumé: encourager une écriture de l'altérité respectée, de l'intériorité, une écriture qui parle de l'humain. Ils tentent de décloisonner, de désenclaver notre culture et les espaces de création et de réflexion, en favorisant des passerelles. Ainsi, ils ont aussi organisé des expositions, comme celle des oeuvres du peintre Azwaw Mammeri Mémoires gardiennes, Les voûtes d'Alger, 2000), celle du plasticien Ammar Bouras Sang commentaires, Salle Frantz-Fanon, Riad El Feth, Alger, 2003), et édité plusieurs catalogues de peinture (dont L'être d'amour, A. Bouras, Alger, 2005). A l'occasion de Tlemcen capitale islamique en 2011, Barzakh prévoit l'édition de plusieurs ouvrages en harmonie avec le thème civilisationnel. Poursuivre l'ouverture vers l'Algérie profonde et le monde méditerranéen semble être la mission de Selma et Sofiane. Exemple à encourager, afin que chacun sache que tout est possible, qu'il ne faut rien abandonner, qu'il peut faire bon vivre culturellement au pays de Novembre. Par cette expérience des «isthmes», il est clair que la culture est un pont à construire et à consolider pour les passeurs entre les mondes. (*) Spécialiste du dialogue des civilisations