Une nouvelle page de l'histoire de la Tunisie vient de s'ouvrir. Coups de tonnerre dans le ciel agité de la Tunisie! La rue a été plus forte. Après 23 ans de règne, le président Zine El Abidine Ben Ali a quitté hier, le pays laissant le pouvoir à son Premier ministre Mohamed Ghannouchi qui assurera l'intérim. Le mouvement de contestation a pris une tournure qui a surpris le monde entier. Le désormais ex-président a abattu toutes ses cartes pour apaiser une rue furieuse. En vain, les manifestants ont plié le destin d'une Tunisie véritablement livrée au chaos au bout d'un mois d'émeutes d'une rare violence. C'est fou comme le fil des informations s'accélère au point de donner le vertige à une girouette. Libération de tous les prisonniers, ouverture politique, démocratique, levée de toute restriction sur les médias, l'Internet. Sitôt annoncées par le président Zine El Abidine Ben Ali, ces concessions sont déjà dépassées. Le ministre tunisien des Affaires étrangères, Kamel Morjane, a déclaré hier, qu'un gouvernement d'union nationale «est faisable», au lendemain du discours jugé «apaisant» du président Ben Ali. Quelques heures après cette déclaration, le président, sous une terrible pression de la rue, abat une autre carte: il limoge son gouvernement, convoque des élections législatives anticipées et charge le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, de former un nouveau gouvernement. Les événements se succèdent et s'accélèrent puisque, quelques heures plus tard, la Tunisie passe à autre étape. Le gouvernement a décrété l'état d'urgence dans l'ensemble du pays avec un couvre-feu de 18h00 à 06h00 du matin. Le virage sécuritaire brutal a été choisi non pas par le président mais cette fois-ci par le gouvernement tunisien qui décrète un état d'urgence. On ne peut aller plus vite dans les décisions extrêmes. Les rassemblements sur la voie publique sont interdits et l'autorisation a été donnée à l'armée et à la police de tirer sur tout «suspect» refusant d'obéir aux ordres. L'espace aérien a été fermé et l'armée a pris le contrôle de l'aéroport. Les événements défilent encore plus vite. La rue ne décolère pas. «Non à Ben Ali», «Soulèvement continu», «On préfère la disette à Ben Ali» scandaient des milliers de manifestants dans la capitale, qui se sont rassemblés devant le ministère de l'Intérieur. «Le ministère de l'Intérieur est un ministère de la terreur» et «Hommage au sang des martyrs» ou encore «Non, aux Trabelsi (la belle-famille du président, Ndlr) qui a pillé le pays», criaient les manifestants, dont des avocats. L'appétit vient en mangeant et les révoltés ne se suffisent plus des concessions faites au bout de trois discours prononcés par le président Ben Ali. Ils revendiquent tout simplement sa tête. Les principaux partis d'opposition tunisiens, légaux comme interdits, ont demandé «le départ de Ben Ali et l'instauration d'un gouvernement provisoire chargé dans les six mois d'organiser des élections libres». Cette foi-ci le Rubicon est franchi. Ben Ali quitte le pouvoir. Désormais, le président tunisien par intérim, s'appelle Mohamed Ghannouchi. Il a lancé hier soir un appel à l'unité à tous les Tunisiens, toutes sensibilités confondues, en annonçant qu'il assume désormais le pouvoir. «J'appelle les Tunisiens, toutes sensibilités politiques et régionales confondues, à faire preuve de patriotisme et d'unité», a-t-il déclaré solennellement. Une nouvelle page s'ouvre en Tunisie avec beaucoup de scepticisme et de craintes d'un chaos pour un pays jusque-là paisible. Dans la foulée, c'est le tourisme, principale ressource du pays, qui prend un sérieux coup. Des milliers de touristes européens ont été rapatriés après que des pillages se soient produits dans la station balnéaire très fréquentée de Hammamet (nord). La filiale allemande du voyagiste britannique Thomas Cook a annoncé hier, qu'elle allait rapatrier le jour même vers l'Allemagne quelque 2000 touristes se trouvant en Tunisie, et annuler tous ses départs vers le pays jusqu'au 17 janvier. Le ministère français des Affaires étrangères conseille désormais «vivement» aux personnes ayant l'intention de se rendre en Tunisie «de différer tout voyage qui n'aurait pas un caractère d'urgence» dans ce pays.