Le Soudan a connu deux soulèvements populaires, en 1964 et en 1985, ayant renversé des régimes militaires. Grogne populaire en raison d'une inflation galopante, amertume face à la séparation attendue du sud du pays, les Nord-Soudanais s'interrogent sur leur avenir et se demandent si un soulèvement populaire comme en Tunisie est possible à Khartoum. La dévaluation de la livre soudanaise au cours des derniers mois - due à l'incertitude sur la partition prévue du pays et à un assèchement des réserves de devises étrangères - et le mauvais état des finances publiques plombées par une lourde dette sont à l'origine d'une poussée inflationniste au Soudan. Le pays paye plus cher ses importations et le gouvernement a dû annoncer une série de mesures d'austérité. Résultat, le prix du sucre a bondi de 15% en une semaine, le pain de 20% depuis décembre et l'essence de 33%. «Tout, tout a augmenté. Alors je suis obligée d'acheter moins de choses», se plaint Fatma Mohammed, jeune mère de quatre enfants. «Le prix du kilo de viande est passé de 20 à 24 livres (environ neuf dollars). Les gens ne sont pas contents, ils disent que c'est trop, et nous demandent pourquoi», affirme un Soudanais, qui travaille dans une boucherie d'un souk achalandé. Des heurts ont opposé la police soudanaise à des étudiants protestant contre la hausse des prix pendant deux jours de suite cette semaine dans la Gezira, large bande de terre au sud de Khartoum, entre les deux Nil, où des paysans en colère plaident pour une réforme du secteur agricole. A cette précarité s'ajoute désormais la déception de certains nordistes face à l'indépendance du Sud-Soudan jugée inéluctable après le référendum qui s'est déroulé cette semaine. «Le terrain est prêt pour un soulèvement populaire», estime Moubarak al-Fadil, un des ténors de l'opposition, membre du parti Umma, formation vieillissante qui avait toutefois remporté les élections multipartites de 1986, un an après la chute du régime de Gafaar al-Nimeiri. Le Soudan a connu deux soulèvements populaires, en 1964 et en 1985, ayant renversé des régimes militaires. «Si le NCP (Parti du congrès national du président Omar El Bechir) ne tire pas les leçons de l'Histoire, il doit au moins regarder les chaînes de télévision internationales. La Tunisie montre bien que rien ne peut s'opposer à la volonté populaire», ajoute M. al-Fadil. Le président tunisien, aujourd'hui déchu, Zine El Abidine Ben Ali, 74 ans, a quitté le pouvoir vendredi après un mois de protestations contre son régime qui ont fait des dizaines de morts. La sécession du Sud-Soudan, qui devrait être prononcée en juillet, va libérer un peu plus de 20% des sièges à l'Assemblée nationale soudanaise. L'opposition a déjà demandé la formation d'un «gouvernement de transition», mais a reçu une fin de non-recevoir du président Bechir. Celui-ci s'est dit être prêt à donner des postes à des membres de l'opposition s'ils adhéraient à son programme. Des messages diffusés par de jeunes Soudanais en faveur d'un soulèvement populaire pacifique commencent à circuler sur Internet, mais ces appels demeurent limités. Outre la grogne sociale et la gestion de l'après sécession du Sud-Soudan, le gouvernement soudanais est confronté à la rébellion armée au Darfour, région de l'ouest du pays en proie depuis huit ans à la guerre civile. «Le président Bechir, même quand il semblait affaibli, a toujours su rebondir», souligne cependant un diplomate occidental sous le couvert de l'anonymat. Plusieurs analystes pensaient en 2009 que le mandat de la Cour pénale internationale (CPI) contre Omar El Bechir pour crimes de guerre au Darfour allait éroder son soutien, mais le président a su rallier la population en lançant une «croisade» contre l'Occident.