Entre présent et passé antique, de la mythologie grecque aux Temps modernes, la pièce met la pendule à l'envers et erre. Cris et châtiment. Un titre qui siérait sans doute à cette pièce. Car, qu'a-t-elle fait une mère au Bon Dieu pour voir son enfant arraché à la vie dans des conditions aussi cruelles? Et si el harrag m'était conté? Dans De mon hublot utérin, je te salue humanité et te dis bla-bla-bla...le sort tragique des harraga est raconté avec force et véhémence. Ecrit par le journaliste et auteur Mustapaha Benfodil, à l'automne 2009, le projet prend racine dans l'écriture d'une fiction que l'auteur invente lors d'une résidence à bord d'un voilier naviguant en Méditerranée. Sur une proposition du metteur en scène, Julie Kretzschmar, s'engage une collaboration entre Mustapha Benfodil, le chorégraphe Thierry Thieû Niang et le comédien algérien Samir El Hakim (qui a déjà joué dans le film Harragas de Merzak Allouache, Ndlr). Ce travail à trois temps prend forme dans le cadre du Festival du théâtre arabe en région, organisé par La Friche Belle de Mai, sous la houlette du metteur en scène Ziani Chérif Ayad. En attendant la mise en espace, une mise en lecture a été donnée lundi dernier au Centre culturel français par Elisabeth Moreau, Samir El Hakim, Thomas Gonzalez et Najib Oudghiri. De mon hublot utérin, je te salue humanité et te dis bla-bla-bla...est une plongée dans les entrailles de la mer Méditerranée, arrimée à la douleur de ces mères éplorées de chagrin et de culpabilité. Le silence dans la salle du CCF contraste avec les balbutiements qui ouvrent le «spectacle». «Euh, euh, euh, qu'est-ce que j'ai fait? Qu'est-ce que je n'ai pas fait?», est scandé sur un ton lent, répété comme une obsession. Un foetus dans le ventre de sa mère nous parle. Cette pièce met en juxtaposition le destin de ces anonymes, surnommés «personnes» qui finissent deux pieds sous la mer et celui de ce foetus qui écoute sa mère lui raconter les belles aventures d'Ulysse, d'Ithaque, de Télémaque...le sort pathétique des harraga, leurs rêves d'Italie et de jolies filles s'arrêtent au port de leur infâme destin qui s'acharne à les dériver contre leur gré. Bienvenue dans l'escalade de l'errance d'une mère et celle de toute une jeunesse qui se cherche. Entre humour assassine et description grotesque, cynisme, dérision, pointe de tendresse et cruauté, mais aussi éclatement du sens, poésie et multilinguisme, on reconnaît là, la métalinguistique de Mustapha Benfodil dont son écriture en est affublée. Une écriture fleurie, lyrique, nerveuse, incandescendante, plurielle, franche, remuante jusqu'à la nausée. Entre présent et passé antique, de la mythologie aux Temps modernes, et son corollaire, MSN et Facebook de Omar Timsah, De mon hublot utérin, je te salue humanité et te dis bla-bla-bla...remet la pendule à l'envers pour reconstituer le puzzle d'une sombre destinée. De l'état embryon-noire à celui d'un fantôme englouti par la mer glauque qui vous prend sans pitié. «C'est pas l'homme qui prend la mer, C'est la mer qui prend l'homme» chantait Renaud. Le foetus grandit. Il s'appellera Tarik. Comme l'un des principaux acteurs de la conquête islamique de la péninsule ibérique. Ou encore comme le nom de ce fameux bateau qui porte aujourd'hui son nom. A la différence que lui, sa conquête tournera court. Un pied de nez funeste à l'existence. Pris dans les vagues périlleuses de la mer. Du liquide amniotique, Tarik redevient liquide, absorbé par les abysses. Désillusion de la mère, rêve cajolé, fardeau affectif et projet avorté. Vague à l'âme. Du bleu de la mer qui divague. Invocation des dieux du ciel et de la mer. La pirogue se métamorphose en linceul. La mère tempête, invoque Calypso, la nymphe de la mer pour lui rendre son fils bien-aimé. Sera-t-elle entendue? «Nous mangent les poissons et pas les vers» est une expression courante chez les harraga, qui dit leur désespoir, leur désenchantement quand tout est perdu. D'une durée de quarante minutes, cette lecture nous a donné un aperçu de ce que sera la pièce une fois montée et jouée les 8 et 9 mars prochain à Martigues, près de Marseille. Puissante et vive, marquée de quelques blancs (coupures), la mise en lecture donnée lundi dernier au CCF nous laissa comme un petit goût d'inachevé. Toutefois, le talent des comédiens à faire passer les émotions est à saluer. La force du texte aussi, bien entendu.