Lorsqu'elle pousse ses cris, c'est pour cracher cette misère humaine -trop humaine- imposée par l'homme à ses semblables. Antigone échappe à Sophocle. Antigone fuit les pages tragiques de son créateur. Elle fuit, loin de sa Thèbes natale. Elle traverse l'Histoire et ses vicissitudes. Elle erre à travers les temps hargneux. Mais peut-on se dérober à l'effroi de son destin? En s'échappant de l'Antiquité, Antigone ne l'a fait que pour tomber dans le champ d'inspiration de Henry Bauchau. Celui-ci la livre au metteur en scène Géraldine Bénichou. De la rencontre des deux femmes est né un cri. Un cri baptisé Le cri d'Antigone. Ce n'est là en effet que le titre de la pièce qui a été présentée avant-hier au Théâtre national Mahieddine-Bachtarzi, à Alger. Antigone arrive enfin dans les temps modernes. On la voit sur scène. Qu'on se détrompe cependant: la roue de l'Histoire tourne en rond. On revient donc à l'Antiquité pour revisiter le destin de cette figure emblématique de la mythologie grecque. Antigone, fille d´Œdipe, roi de Thèbes, après avoir accompagné son père, aveugle, dans son bannissement, revient dans son pays. Maintenant que son géniteur a mangé les pissenlits par la racine, elle abandonne son vagabondage. Néanmoins, la fatalité est toujours là pour la surprendre. En arrivant à Thèbes, elle apprend que ses deux frères, Polynice et Etéocle luttent pour prendre le pouvoir. Antigone et sa soeur Ismène tentent de s'élever contre cette guerre fratricide, en vain. La lutte s'achève avec la mort des deux antagonistes. Créon, l'oncle d'Antigone, prend le pouvoir et refuse à Polynice, le traître, les honneurs funéraires. Antigone s'élève contre le décret de Créon et recouvre clandestinement de terre le corps de son frère. Antigone est alors condamnée à mort pour avoir transgressé la loi de Thèbes. A présent qu'elle est emmurée dans une grotte, il ne lui reste qu'à rejoindre silencieusement le royaume d'Hadès. Le cri d'Antigone, abstraction faite des jeux scéniques, est un cri poussé par une femme, et à travers elle, ce sont tous les cris des femmes du monde qui sont représentés. Ainsi, en refusant que son frère Polynice soit enterré sans sépulture, Antigone devient femelle. Elle s'oppose, à ses risques et périls, aux édits séculaires méticuleusement élaborés par la cité. C'est qu'en défendant son frère, Antigone ne reconnaît qu'une seule loi: celle de l'instinct. Elle aiguise la qualité la plus noble chez l'être humain: son humanisme. Une loi qui transcende tous les décrets, ceux de la Providence y compris. Et lorsqu'elle pousse ses cris, c'est pour cracher cette misère humaine -trop humaine- imposée par l'homme à ses semblables. En outre, basée initialement sur le discours, la pièce entraîne les spectateurs dans les tragédies propres à la Grèce antique. On ne peut s'empêcher de rester insensibles aux lamentations, ni aux cris colériques d'Antigone qui, après avoir refusé d'abandonner son père dans sa déchéance, ne consent nullement à s'abaisser ni à courber l'échine devant les lois implacables des hommes. Ce qui a donné par ailleurs plus d'algérianité à la pièce, ce sont les chants, ou achewiq, interprétés ingénieusement par Salah Gaoua. Des extraits des chansons de Idir, de celles du défunt Matoub Lounès ou encore d'El Anqa revêtent Le cri d'Antigone d'un manteau algérien. Le cri d'Antigone a été mis en chantier en novembre 2003. La pièce a été présentée, dans une première version à la Comédie de Saint-Etienne en mars 2004. Une deuxième version du spectacle, dans lequel les chants en kabyle et en arabe de Salah Gaoua répondent à la voix de Magali Bonat, est présentée au Nouveau Théâtre du Huitième en juin 2004, au Théâtre de la Croix-Rousse en février 2005 et au musée Gallo-romain en décembre 2005. Enfin, après sa représentation au TNA devant le public algérois, Le cri d'Antigone sera jouée, le 20 du mois en cours, à Sétif.