L'Expression: Washington semble lâcher Moubarak. Qu'en pensez-vous? Saghour Abderzak: Au Moyen-Orient, il faut dire que Washington ne se soucie que de ses propres intérêts et de son protégé l'Etat israélien et veille, par voie de conséquence, à soutenir les régimes qui lui sont fidèles, quitte à sacrifier les hommes à la tête de ces derniers pour faire croire aux peuples sa bonne volonté de soutenir la démocratie et les changements réclamés par les peuples concernés. A ce sujet, l'exemple égyptien est édifiant et illustre, à plus d'un titre, cette logique américaine. Ce qui se passe aujourd'hui en Egypte et qui touche partiellement les pays arabes, s'inscrit dans le cadre du plan «le chaos constructeur» mis en en route par l'administration de Bush au Moyen-Orient. En Egypte, aujourd'hui, les USA «s'ingèrent» dans les événements et indirectement dictent au gouvernement de Omar Souleïmane des recommandations et les voies à suivre pour sauver le régime égyptien, pivot de la stabilité des rapports israélo-arabes et garant de la continuité de la stratégie américaine pour le Moyen-Orient. Et pour preuve, il convient de noter, qu'en plus de la pression de la rue en colère, les officiels égyptiens réagissent et oeuvrent selon les déclarations de la Maison-Blanche. Les réformes économiques et politiques, la position de l'armée, la transition politique qui, de plus en plus, prend corps, en sont une illustration. Le gouvernement égyptien tend à «exécuter» les recommandations de la «Maison-Blanche». Car, la révolte du peuple peut être étouffée et matée par les différents appareils répressifs que Moubarak n'hésitera pas à actionner. Donc, les Américains ont lâché Moubarak pour sauver le régime. Par ailleurs, une lecture géostratégique des événements nous permet, cependant, de comprendre largement que les USA ont actionné le plan du «chaos constructeur», en Egypte. Ce dernier a été ainsi appliqué successivement en Palestine, l'Afghanistan, l'Irak, au Liban et voilà qu'arrivent l'Egypte, la Jordanie, et le Yémen, après bien sûr la Tunisie. Que signifiez-vous par le plan «le chaos constructeur» pour le Moyen-Orient? Le plan «le chaos constructeur» a été conduit par l'ex-secrétaire du département d'Etat, Condoleezza Rice. Elle avait prévenu que le Plan en question se fera dans la douleur, et ce, notamment dans le Monde arabe. Les Etats-Unis ont, désormais, imposé leur leadership. L'unilatéralisme américain, théorie mise sur pied par les néoconservateurs pour la domination sans partage du monde, a pour objectif de créer un seul centre décisionnel autour de l'emploi de la force brute sans limite et de la terreur destructrice à l'encontre des peuples et nations résistants, en particulier le Moyen-Orient. C'est un unilatéralisme américain arrogant, agressif et source de nouveaux foyers dans le monde, comme l'attestent la guerre menée en Irak et en Afghanistan et le problème du nucléaire iranien. A ces crises s'ajoutent, aujourd'hui, les bouleversements touchant des dictatures arabes, qui sont menacées par leurs peuples, réclamant des changements radicaux. Les bouleversements en Tunisie, puis l'Egypte, la Jordanie, le Yémen. Et il faut dire que d'autres transformations ne sont pas pour autant à écarter dans d'autres pays épargnés jusqu'ici par les vents de la révolte. La rupture des peuples arabes avec leurs anciens régimes dictatoriaux, archaïques, monarchiques et despotiques sont des «options géostratégiques» voulues et soutenues par les Etats-Unis d'Amérique. C'est par rapport à ce nouveau contexte qu'il faut placer et analyser les bouleversements que connaît le Monde arabe en général. Dans le Monde arabe, les Etats-Unis se sont arrogé le droit de les définir, selon leur propre perception et leurs seuls intérêts et surtout de les gérer suivant leurs convenances. Ce qui veut dire en clair que leur approche est strictement «manichéenne» et repose sur le principe du «deux poids, deux mesures». Ce qui fait que Israël par exemple, en pratiquant depuis toujours et à ciel ouvert, le terrorisme d'Etat, celui-ci est devenu légitime. Aussi, faut-il dire que le soutien des USA et occidental dont ont bénéficié les peuples ukrainien et géorgien, lors de leurs soulèvements contre leurs dictatures, n'est pas le même que celui manifesté à l'égard des peuples arabes. D'un côté, il y a paternalisme américain très prononcé, de l'autre, le gouvernement de cette même Egypte dénonce une ingérence. Quelle est votre analyse? Le leadership, voire l'hégémonie américaine, s'est construite et consolidée pour défendre l'Occident contre l'autre bloc rival, soviétique. La disparition de ce dernier lui ôte donc toute raison de persister. Alors, l'Occident, en général, et les Etats-Unis, en particulier, ont redessiné le nouvel ordre mondial pour préserver des intérêts stratégiques évidents. Ces intérêts ont pour finalité d'assurer et de renforcer la suprématie des Etats-Unis qui se sentent toujours obligés de se conduire en leadership de tout l'Occident. Voire, l'Occident, et à sa tête les USA, ne peut progresser et tenir son rôle de leadership sans se créer des «dangers permanents». Il fallait combler le vide laissé par la disparition du bloc de l'Est. Or, il ne pouvait pas se hasarder à le faire en provoquant les pays asiatiques, trop puissants, y compris militairement. Le ventre mou est donc vite trouvé; la victime est le Monde arabe, le Moyen-Orient, qui regorge de pétrole et surtout trop faible et trop divisé pour s'opposer à la puissance de l'Occident, en général et des Etats-Unis, en particulier. L'unipolarité a permis à l'hyperpuissance de passer du statut de gendarme, au temps de la guerre froide, à celui de maître du monde, à l'heure actuelle. Le droit d'ingérence est instrumentalisé pour servir des intérêts nationaux, hautement stratégiques. Il est devenu un paramètre important du nouvel ordre mondial. Il est actionné en dehors de tout cadre légal.