Le peuple égyptien, qui a vaincu le pharaon, célébrait hier encore une victoire précieuse et glorieuse en laquelle lui seul croyait. Dans l'euphorie générale, peu d'Egyptiens se soucient réellement de ce que sera demain, mais cette joie va se calmer pour, sans doute, être mieux savourée. Cependant, il ne faut pas s'y tromper, car assez tôt se présentera le dilemme de ce qu'il faut faire de cette révolution. Révolution, faut-il le signaler, encore fragile et qui demande à être réellement prise en charge par les vraies forces du changement. Celles-ci auront-elles l'opportunité de s'organiser pour participer à la mise en place de nouvelles institutions plus en phase avec la demande du peuple? Ce ne sont là que quelques-uns des questionnements que se font les analystes qui tentent d'appréhender correctement ce que seront les retombées d'une révolution qui a pris de court experts du renseignement, observateurs politiques et diplomatiques. Avant cela, la question nodale qui se pose et doit être posée est de savoir quel rôle sera celui de l'armée - bastion sur lequel Hosni Moubarak s'est appuyé tout au long de son règne - dans la transition? Il faut savoir en effet, que si Moubarak est tombé, le régime est toujours en place avec un Parlement qui lui est totalement dévoué, comme il l'a été à Moubarak, dont le fils, Gamal Moubarak, en a été le numéro 2 et son principal animateur politique. Moubarak Junior et son groupe - dont nombre de ministres aujourd'hui poursuivis par la justice égyptienne pour corruption, abus de biens sociaux et autres griefs - ne sont plus là, mais restent solidement implantés au coeur même du Parlement avec le Parti national démocratique (PND, courroie de transmission du clan Moubarak) qui, pour le moment n'a fait l'objet d'aucune mesure (gel des activités, dissolution ou autre...). Mais la véritable inconnue c'est encore et toujours l'armée dont les liens des responsables hiérarchiques avec la hiérarchie militaire israélienne et américaine sont de notoriété publique. De fait, le problème de la succession de Moubarak se complique par la duplicité dont a fait montre l'ex-raïs qui, avant de quitter le pouvoir, en a confié les clés à l'armée, violant ainsi de manière flagrante la Constitution égyptienne et singulièrement son article 84 qui stipule: «En cas de vacance du poste du président de la République ou de son incapacité permanente d'assumer ses fonctions, la présidence sera confiée provisoirement au président de l'Assemblée du peuple ou, dans le cas où celle-ci serait dissoute, au président de la Cour suprême constitutionnelle, à la condition qu'aucun des deux ne pose sa candidature à la Présidence». Or, dans son obstination à conserver le pouvoir jusqu'à, au moins, l'achèvement de son mandat en septembre, Moubarak a usé de tous les subterfuges pour y faire, comme la désignation d'un vice-président, trente années après sa prise de pouvoir, alors que la Constitution égyptienne prévoyait un ou plusieurs vice-présidents pour seconder le chef de l'Etat. Dispositions ignorées par Moubarak durant trente longues années, jusqu'à l'avènement de la Révolution du 25 janvier 2011, pour qu'enfin le raïs se souvienne de cette opportunité de la loi fondamentale de son pays. Or, jeudi soir, acculé par le peuple, Moubarak transfère une partie de ses pouvoirs au vice-président Omar Souleimane (à l'exclusion du pouvoir de dissolution du Parlement et du gouvernement) pour au final, avant sa «fuite» vendredi, remettre la totalité de ses pouvoirs aux mains de l'armée. Question: que va faire l'armée égyptienne d'un pouvoir dont elle n'a pas la capacité politique d'assumer la responsabilité comme d'assurer la transition vers la démocratie, la bonne gouvernance et l'Etat de droit? D'ailleurs, dans sa première réaction, le président américain, Barack Obama, a affirmé que l'armée égyptienne doit «assurer une transition crédible aux yeux du peuple égyptien». Il n'est pas surprenant que le «mentor» américain de Moubarak ne conteste pas le choix final d'un président rejeté par son peuple, qui transféra son pouvoir et, partant, la mission d'assurer la transition à l'armée. Une armée, faut-il le souligner, que les Etats-Unis subventionnent annuellement à hauteur de 1,3 milliard de dollars. Dès lors, il est logique que le choix de l'armée pour assurer la transition et surtout faire triompher la révolution soit sujet à suspicion. Aussi, l'incertitude du lendemain titille-t-elle quelque part les millions d'Egyptiens qui ont rendu possible un changement de fond en Egypte - en déboulonnant la statue de Moubarak - mais qui craignent que leur Révolution soit confisquée pour d'autres desseins. De fait, dès hier, l'armée s'est mise à «nettoyer» les rues du Caire alors que les chars se positionnaient dans les principaux boulevards de la capitale égyptienne tout en appelant le peuple à rentrer chez lui. Même si le peuple continuait hier à célébrer sa victoire et la chute de l'ancien dictateur, la récréation semble, en fait, bien terminée.