Le cycle de la révolte arabe s'est élargi à l'ensemble des pays du Maghreb et du Machrek mettant sur le qui-vive dictateurs et monarques qui règnent sans partage sur leurs peuples. De Nouakchott à Al-Manama c'est la même revendication: Partez! à l'adresse de potentats qui dirigent leurs pays depuis des décennies. De fait, dit plus prosaïquement, «dégage». Le mot a fait fortune grâce à la révolte tunisienne, apostrophant l'ex-président tunisien «Ben Ali, dégage!» repris à leur compte par les Egyptiens: «Moubarak dégage!» et devenu, depuis, le passeport de la liberté pour les peuples arabes. C'est en fait, la manière la plus simple et la plus directe de signifier aux rois et autres «présidents à vie» leur fin de mission. Longtemps maintenue par la peur et les répressions, souvent sanglantes, hors des affaires du pays qui la concernait en priorité, la rue arabe, qui se l'est tenue pour dit, s'est brusquement réveillée faisant tomber - et constatant qu'elle pouvait les faire tomber - des citadelles réputées inexpugnables. Zine El Abidine Ben Ali et Mohamed Hosni Moubarak n'ont pas été délogés de leurs trônes par des blindés et des bazookas ni par des putschs militaires, mais par des citoyens aux mains nues, des citoyens pacifiques qui, soudain, ont pris conscience du rôle qu'ils pouvaient jouer dans la cité. Les succès des révoltes tunisienne et égyptienne, qui se sont transformées en Révolutions, emportant dans leurs crues les pouvoirs autocratiques de Tunisie et d'Egypte, ont ainsi ouvert des perspectives aux peuples arabes qui se sont délestés de leurs craintes et autres chapes de plomb qui les ont muselés durant tant d'années. De fait, la Révolution était possible dans des pays arabes coulés dans le même moule: régimes fermés, libertés collectives et individuelles bâillonnées, démocratie et droits de l'homme absents, gouvernance néfaste, népotisme et corruption. Cet autoritarisme arabe se retrouve de Rabat à Riyadh, de Nouakchott à Damas, d'Alger au Caire, de Tripoli à Sanaa...Au nom d'une stabilité improbable, les régimes arabes exerçaient sur leurs peuples un pouvoir sans nuances, ne tolérant aucune ouverture aussi minime fût-elle ou sur laquelle ils n'aient pas un contrôle absolu. Cette fermeture du champ politique et médiatique se traduit en Algérie par le fait que ce pays est, aujourd'hui, le seul au monde qui ne dispose pas de médias (télévisions et radios) privés où les différences politiques et idéologiques pouvaient s'exprimer. Cette soif du changement est donc légitime et est réclamée par l'ensemble des peuples arabes du Maghreb au Machrek qui, depuis deux mois, et le début de la révolte tunisienne (17 décembre 2010), embrase l'ensemble du Monde arabe. Un Monde arabe évoluant en marge du monde réel, qui a vécu de profonds bouleversements géostratégiques depuis l'effondrement du bloc communiste en 1991. Forts du postulat que cela n'arrive qu'aux autres, les despotes arabes ont certes fait le dos rond - les dirigeants arabes ont été les seuls dans le monde, c'est opportun de le rappeler, à n'avoir émis aucune protestation lors de l'invasion de l'Irak par l'armada impériale américano-britannique. En 2003, les dirigeants du monde entier, y compris le pape Jean-Paul II, se sont fermement élevés contre l'aventure meurtrière de l'administration américaine contre l'Irak. Or, les seuls qui manquaient à l'appel étaient - curieusement - les premiers concernés: les dirigeants arabes qui observaient un honteux profil bas. Et pour cause! Mais, en vérité, ces rois et autocrates arabes pouvaient-ils s'élever contre une puissance américaine qui assure la survie de maints d'entre eux face à leurs peuples? C'est là un des faits qui ont caractérisé les pouvoirs arabes durant ces dernières décennies - usant d'une main de fer contre leurs peuples tout en mettant à l'épreuve la souplesse de leur échine face aux puissances étrangères. Ainsi, pour faire bonne mesure, les citoyens de la communauté internationale ont marché partout dans le monde contre l'invasion américaine de l'Irak, sauf dans le Monde arabe où de telles marches, - fussent de solidarité avec l'Irak -, ont été unanimement interdites. Et voilà que les peuples arabes se passent aujourd'hui de l'autorisation de leurs autocrates pour (re)marcher, réclamant la liberté, la démocratie, la bonne gouvernance et la fin du népotisme et de la corruption. En Libye, El Gueddafi qui s'est placé d'emblée au-dessus de son peuple - notons cette curiosité libyenne, qui fait que Mouamar El Gueddafi n'est ni président (élu ou imposé), ni émir, ni roi, il est le «leader» et le «guide», Zeus en personne, pasteur des peuples (dans la Grèce ancienne) - au pouvoir depuis plus de quatre décennies, a fait le vide autour de lui évacuant de la Libye, son élite politique, économique et sociale. Un cas d'école. A Benghazi et les villes révoltées contre son pouvoir, il utilise les commandos de la mort, qui ont déjà fait trop de dégâts parmi la population. On comptabilisait au moins 104 morts hier en Libye. A Bahreïn, ancien émirat devenu royaume, c'est une dynastie sunnite qui dirige un pays essentiellement peuplé de chiites. L'opposition exige désormais, sinon la déposition du roi, du moins l'avènement d'une monarchie constitutionnelle où le roi ne serait plus que le symbole de l'unité du pays dont les dirigeants seront élus par le peuple. Même dans le petit pays de Djibouti (pays arabe de la Corne de l'Afrique), le peuple ne veut plus de Ismaël Omar Guelleh au pouvoir depuis quinze ans et qui postule à un quatrième mandat. Même son de cloche au Maroc où le peuple sorti en masse hier à Casablanca et à Rabat, réclame des changements politiques et surtout la limitation des pouvoirs du roi. C'est le même scénario à Sanaa où Ali Abdallah Saleh au pouvoir depuis 33 ans au Yémen est sur la sellette. N'ayant pas su sentir d'où venait le vent, ni prendre les devants quand il le fallait, les autocrates arabes se trouvent aujourd'hui acculés, recourant au massacre pour faire taire leurs peuples. Il est vrai qu'ils se sont toujours considérés prémunis contre de telles remises en question de leurs pouvoirs. A telle enseigne que l'ex-président égyptien, opposé au plan du «Grand Moyen Orient» (GMO) concocté par l'ancien président américain, George W. Bush, est allé jusqu'à affirmer dédaigneux «je sais ce que veut le peuple» et d'expliquer «la liberté et la démocratie instantanée peuvent avoir l'effet d'un séisme dans un pays» réfutant ainsi au peuple la sagesse et la maturité politique, que le peuple d'Egypte vient d'ailleurs d'administrer au monde et à l'ex-raïs en particulier. Il est patent que la Révolution arabe est irréversible et qu'il n'y aura pas de retour en arrière. Les jours des despotes arabes sont de fait, comptés. En réalité, le mur de Berlin arabe est tombé le 17 décembre en Tunisie, la suite de sa désintégration n'est plus qu'une question de patience.