Tous les militants nationalistes algériens sont grands et davantage lorsqu'ils sont aussi humbles, généreux et disponibles que le regretté Sî Boualem Bourouïba. Né à El Kseur (wilaya de Béjaïa), le 24 février 1923, décédé le 19 février 2011 à Hydra-Alger, Sî Boualem Bourouïba était issu d'une vieille famille algéroise - père et frères déjà engagés, avant le 1er novembre 1954, dans la lutte politique nationaliste et dans l'action syndicaliste. Le défunt Sî Boualem, ce militant ardent dès son plus jeune âge au P.P.A. et convaincu de l'importance d'un syndicalisme algérien, était ainsi connu par les responsables syndicalistes d'Algérie, de Tunisie et du Maroc et, lors de missions spécifiques, par les membres des grandes centrales syndicales d'Europe, notamment par de hauts représentants de la mythique C.I.S.L. (Confédération Internationale des Syndicats Libres) des années 1955-1956. Sur ce sujet important de l'adhésion de l'U.G.T.A. (Union Générale des Travailleurs Algériens), notre cher Sî Boualem Bourouïba avait apporté par écrit la clarification suivante: «L'ALGERIEN en guerre avait un besoin urgent d'ouvrir une fenêtre sur le monde. [...] Avec le recul, notre présence dans les rangs de la Centrale internationale de Bruxelles, nous pouvons l'affirmer, s'est révélée largement positive pour l'U.G.T.A. comme pour l'Algérie.» Son énorme travail de recherche et de mise au point sous le titre Les syndicalistes algériens, leur combat de l'éveil à la libération, 1936-1962 (*) dont j'ai eu déjà l'immense plaisir de le présenter (V. L'Expression du 22 février 2001) est une mine d'informations sur l'authentique syndicalisme algérien. Restant sur cet esprit de ferveur syndicale et de souvenirs émouvants, je rappelle que ses anciens compagnons disent qu'il a été, aux côtés des pionniers héroïques Mohammed Belouizdad et Aïssat Idir, une des figures historiques du syndicalisme algérien. Menée à l'époque coloniale au sein de la section de la C.G.T. française en Algérie, pour des raison tactiques devant préserver les intérêts des travailleurs algériens, l'action syndicaliste pourrait être considérée aujourd'hui - grâce au premier groupe de militants algériens autochtones de la période prérévolutionnaire - comme la prestigieuse préfiguration de la grande Centrale syndicale nationale, l'U.G.T.A. qui fut conçue, elle, dans la clandestinité au plus fort de la lutte de libération nationale. En effet, la réunion de responsables (F.L.N. et syndicalistes algériens) qui décida de sa création, se tint le jeudi 17 février 1956, à Saint-Eugène (auj. Bologuine), au domicile même de Boualem Bourouïba. Ensuite, le Congrès des syndicalistes algériens, tenu ouvertement le vendredi 24 février 1956, à Alger, décida à l'unanimité la création de l'Union Générale des Travailleurs Algériens et fit enregistrer officiellement son acte de naissance. Dès lors, il y avait un travail impératif de longue haleine à entreprendre et, à vrai dire pour respecter l'Histoire, il avait déjà commencé en 1936. Cependant, si l'on sait assez bien les exploits héroïques des combattants de l'A.L.N. et les brillants succès remportés par les militants et les responsables du F.L.N. on sait beaucoup moins, peut-être, les sacrifices consentis ou l'efficacité formidable de l'enthousiasme engageant des syndicalistes algériens avant et après 1954. Dans le même temps de l'action politique, ils ont mené un combat libérateur de la société algérienne. En hommage à la mémoire du défunt Sî Boualem Bourouïba, je recommande vivement la lecture de son livre-mémoire Les Syndicalistes algériens, leur combat de l'éveil à la libération, 1936-1962, accompagné d'une longue et percutante préface de l'autre regretté et éminent chercheur Mostefa Lacheraf. Signalons que ce document qui a été édité pour la première fois en 1998, à Paris, chez L'Harmattan, est d'une clarté rare et d'une richesse documentaire impressionnante pour ce genre d'oeuvre. Tout est passé en revue, tout détaillé: les hommes, les idéologies, les fondements de la conscience et de l'action. Les années 1936-1945 rappellent le Front populaire, l'Algérie et le régime de Vichy, la reprise des activités politiques et syndicales après le débarquement des Alliés, puis Mai 1945. L'Après-guerre permet, par la lutte intelligente des militants, la constitution du M.T.L.D. et des succès nationalistes aux élections municipales. Mais l'échec du 2ème congrès du P.P.A. /M.T.L.D. aggrave la crise entre les militants des deux partis. La Révolution de Novembre 1954 et la naissance de l'U.G.T.A. encouragent la volonté des partisans; ces réalisations sont expliquées et justifiées avec le ferme et clairvoyant sentiment du nationaliste Boualem Bourouïba. À la fin du premier secrétariat national, la relève est à pied d'oeuvre: ni la «bombe au siège de l'U.G.T.A.», ni la «Grande Bataille», ni «l'épreuve de force» (policière et militaire) ne découragent les militants qui, par stratégie, activent dans la clandestinité et s'aguerrissent malgré toutes les souffrances et les représailles: emprisonnement, détention dans les camps de concentration (Sî Boualem y a passé cinq ans), terreurs dans les villes et les campagnes, torture, assassinat de Aïssat Idir, tribunaux militaires,... Dans l'ouvrage deux grands chapitres sont réservés à «L'U.G.T.A. dans la clandestinité» et à «L'U.G.T.A. à l'extérieur». Le chapitre 9 et dernier est consacré à des précisions et des mises au point: «De l'arrêt des combats au référendum et l'indépendance». Une importante conclusion apparaît certainement au lecteur comme une vision juste de ce que devrait être une Algérie moderne et telle qu'elle est globalement préconisée dans la proclamation du 1er Novembre 1954. Il est à mon sens dommageable à l'esprit puissant et généreux de Sî Boualem Bourouïba que de donner seulement des extraits de sa magnifique conclusion empreinte de vérité, de sagesse et de pédagogie. Néanmoins, comme il parle de forces saines de la Nation, je propose un échantillon de sa longue réflexion: «Là encore, lorsque l'on engage les Algériens à changer de mentalité, nos dirigeants et en particulier ceux qui se trouvent aux commandes, ne sont nullement dispensés de cet effort. Bien au contraire, ils sont les premiers concernés. Une des questions les plus angoissantes auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui, celle du nombre considérable de jeunes que compte l'Algérie. Comment transformer ce qui constitue un lourd handicap, aggravant celui de l'emploi, du logement, etc., en source de richesse et de progrès? Comment persuader et engager notre jeunesse à mobiliser ses efforts, à donner sa sueur et son savoir à la construction d'une Société meilleure, plus juste, où les affres de la faim, du chômage, de l'obscurantisme seront poussées toujours plus loin? Comment la convaincre que son avenir ne peut se faire valablement que dans son pays. Si certains «heureux» parvenaient à franchir le cordon sanitaire planté par l'opulente Europe, ils seraient l'exception et voués à jouer les éternels intérimaires. C'est pourquoi notre attention, dans un premier temps, ira en priorité vers ceux qui restent et acceptent de lutter. Comment ne pas croire à l'existence de ces réserves considérables d'énergie quand on a assisté aux imposantes manifestations qui se sont déroulées à Alger et dans bien d'autres villes en octobre 1988, plus tard, pour défendre la démocratie et la justice sociale? [...] Cela ne pourra se faire que par un Pouvoir fort et crédible parce que respectueux de la Justice. [...] Par leur présence et le rôle qu'ils pourront jouer dans ces assemblées [législatives et municipales], les travailleurs et les cadres syndicalistes épauleront sérieusement l'action menée. [...] Cette action, appuyée par plus de quatre millions de travailleurs, constituera le plus solide garant de l'instauration en Algérie d'une réelle Démocratie et d'une véritable justice sociale.» Le mois de février est tout plein de Sî Boualem: demain, jeudi 24 février 2011, l'U.G.T.A. célèbrera le 55e anniversaire de sa naissance. En cette circonstance, un lieu approprié, qui portera son nom, serait un fort symbole pour la jeunesse. (*) Les syndicalistes algériens, leur combat de l'éveil à la libération, 1936-1962 de Boualem Bourouïba, Coédition Dahlab-ENAG, Alger, 2001, 454 pages.