Le système libanais se distingue de la plupart des régimes de la région par un partage du pouvoir basé sur des quotas communautaires et d'une tradition de «démocratie consensuelle». Dans le sillage du vent de révolte qui souffle sur le monde arabe, des milliers de jeunes Libanais appellent sur Facebook à «faire tomber le régime confessionnel» de leur pays multicommunautaire. Un combat au pire improbable, au mieux de longue haleine, estiment des experts. Reprenant à leur compte les slogans scandés en Tunisie et en Egypte, plusieurs pages intitulées «Le peuple libanais veut faire tomber le système confessionnel», ou encore «Journée de la colère contre le confessionnalisme, la corruption et la pauvreté» ont récemment fait leur apparition sur le site. «Jeunes du Liban, soulevons-nous contre l'oppression de ce régime», écrit Mahmoud al Khatib sur la page http://www.facebook.com/î!/lebrevolution, qui compte jusqu'à présent plus de 9700 «amis». Mais ces mêmes jeunes, et des observateurs, sont convaincus que la particularité du système libanais rend plus difficile une réplique pure et simple des révoltes arabes. «Les Libanais se vantent tout le temps de leur liberté et démocratie face aux pays arabes», affirme Hassan Chouman, informaticien de 24 ans, un sympathisant de ces pages. «Mais chez eux, il y a un seul dictateur, ici, nous en avons au moins sept ou huit», ironise-t-il, en référence aux leaders politiques représentant chacune des 18 communautés musulmanes et chrétiennes du pays. Le système libanais se distingue de la plupart des régimes de la région par un partage du pouvoir basé sur des quotas communautaires et d'une tradition de «démocratie consensuelle». Depuis l'indépendance en 1943, il garantit une parité entre musulmans et chrétiens minoritaires dans la région. Il est toutefois accusé, depuis des décennies, de tous les maux: corruption, gaspillage, clientélisme, guerre civile destructrice (1975-1990) et crises à répétition. «Au Liban, la compétence ne compte pas. Chaque leader d'une communauté nomme à des postes sa «clique», ce qui pourrit notre administration publique», affirme Georges al-Azzi, professeur de sciences politiques à l'Université libanaise. Abolir ce système où tout le monde veut sa part du gâteau «est beaucoup plus difficile que de faire tomber un dictateur», dit-il. «Ici, si vous manifestez dans la rue, vous dirigez ça contre qui? Quelle institution? Quel groupe? Il n'y a rien de palpable». Selon lui, même des dirigeants soit-disant laïques sont obligés d'intégrer le système pour «survivre politiquement». Sur Facebook, certains écrivent même que «ce mouvement est voué à l'échec, à moins que chaque confession ne fasse tomber son propre leader». Mais pour d'autres, les soulèvements arabes sont venus éveiller un ancien rêve, malgré les profondes divisions entre coalition pro-occidentale et bloc mené par le Hezbollah pro-iranien et alors que toute revendication sociale est immédiatement politisée. «La leçon à tirer des révolutions d'Egypte et de Tunisie, c'est qu'il faut mettre de côté les différends en vue d'un même objectif», soutient Abou Reem, 39 ans, administrateur de la page «Le peuple libanais veut faire tomber le système confessionnel». Une réunion se tiendra en mars lorsque le nombre dépassera le cap des 10.000 sympathisants. Pour Antoine Messarra, membre du Conseil constitutionnel, «il faut commencer par respecter les règles de droit en promouvant les compétences», «une éducation et une culture non confessionnelle» et une «meilleure relation Etat-citoyens». Jusqu'à présent, les initiatives luttant contre le confessionnalisme, comme l'élection d'une partie des députés sur base non religieuse ou l'instauration du mariage civil (reconnu mais, qui ne peut être célébré au Liban), sont restées lettre morte. Mais «rien n'est impossible, même si la route est longue», estime Abou Reem.