Pays hospitalier, le Maroc a accueilli un certain nombre d'Algériens dans les années sombres du terrorisme. L'un d'eux témoigne. Il évoque la chaleur d'un peuple et la froideur d'une administration. Dans l'imaginaire des Algériens, deux Maroc se superposent. Il y a celui de la «zatla», de la douceur de vivre, de la fête permanente, de la chaleur du peuple marocain, peuple frère et ô combien hospitalier. Et puis il y a l'autre Maroc au visage un peu plus sombre, celui de Tazmamart, des droits de l'Homme, de la répression...Vous aurez compris que la première face du Maroc est celle de l'homme de la rue qui rêve d'évasion à Marrakech, Casablanca et Agadir. La seconde face est celle de l'intellectuel algérien pour qui la monarchie est passée de monde et de mode. A chacun son Maroc. Pour y avoir passé quatre ans, on ne jouera pas à pile ou face avec les deux versants de ce pays. Raison: vues de l'intérieur, les choses sont plus complexes et moins manichéennes. Une chose est sûre : le peuple marocain aime l'Algérien, d'un amour admiratif. En 1995, à notre arrivée, la même phrase de bienvenue nous accueillait. Elle dit tout dans sa nudité et sa crudité: «Vous êtes des hommes vous!» Traduction pour les profanes: «Vous êtes plus directs, plus francs et moins soumis que nous!» Au départ on ne comprenait vraiment pas cette succession de compliments en forme d'hommages. Et puis, au fil du temps et de la pratique, nous avons compris. Compris quoi? D'abord qu'ils admirent notre respect de la parole donnée et notre caractère entier. Mais aussi notre esprit frondeur, notre insoumission permanente, notre côté «redjla» qui n'a peur de personne. Pas même des touristes avec lesquels on est tout fiel alors qu'eux sont tout miel. Allez leur expliquer que le tourisme est leur première source de devises et qu'il mérite bien qu'ils forcent leur nature, rien n'y fait: ils aimeraient bien un jour mordre la main qu'ils embrassent. Il est ainsi le Marocain: lisse et soft au dehors et bouillonnant à l'intérieur. C'est un volcan qui se retient, se contient. Simule, dissimule, a dit un certain Mazarin. Beaucoup d'Algériens sans carte de séjour Durant les quatre années que nous avons passées à sillonner tout le Maroc, nous n'avons pas vu un seul acte de discrimination. Bien au contraire, ce ne sont que sourires et formules de bienvenue. Même du côté de l'administration. On ne vous donne pas votre carte de séjour simplement, mais avec l'art et la manière. Tout en douceur quoi. Il y a des centaines d'Algériens, peut-être des milliers, qui n'ont toujours pas leur carte de séjour. Tout juste un récépissé de dépôt de dossier que certains renouvellent chaque mois. Rendez-vous compte: chaque mois vous devez vous pointer au commissariat de votre arrondissement pour avoir le droit de continuer à résider au Maroc. Qu'on se rassure, on est bien reçu, mais reconnaissons qu'il est quelque peu éprouvant pour les nerfs de rendre hommage chaque mois aux flics. Cette mesure ne vise pas seulement les Algériens demandeurs d'emploi, même les investisseurs sont logés à la même enseigne. L'un des exemples le plus frappant est celui d'un patron algérien qui a coulé des jours heureux avec armes et bagages au Maroc sans qu'il ait ce petit bout de papier qu'est la carte de séjour. Il n'a toujours pas compris pourquoi: «Dans tous les pays du monde un investisseur, surtout quand il est gros, obtient automatiquement sa carte de séjour. Il n'y a que le Maroc qui fait exception. Mais seulement pour les Algériens, j'ai fait des pieds et des mains pour l'avoir, rien. A toutes les portes où j'ai frappé j'ai toujours reçu la même réponse: Patience... patience». Retenons la phrase «mais seulement pour les Algériens», elle dit tout, elle résume tout, elle éclaire tout. Non, ce n'est pas à cause de lourdeurs bureaucratiques que l'Algérien n'a pas sa carte de séjour, mais sans doute en raison d'une volonté politique jamais clairement affichée, toujours masquée, toujours enrobée dans les formules de fraternité et d'amitié. En fait, la raison de tout cela il faudrait la chercher dans les relations passionnelles et souvent crispées qu'il y a entre les deux pays. La communauté algérienne vivant au Maroc s'enrhume à chaque coup de froid entre les deux pays. Elle n'a qu'un désir, cette communauté: que tout s'arrange entre les deux pays pour que tout s'arrange pour elle. D'ailleurs, c'est une drôle de communauté: contrairement à la tunisienne (ne parlons pas de la française ou de la libanaise...) qui a des lieux de rassemblement et des associations qui activent, l'algérienne a fait du vide son credo. Elle n'a rien qui la rassemble. Il y a eu des tentatives pour mettre sur pied des associations d'Algériens au Maroc, de bien louables initiatives qui ont vite avorté. Pourquoi? Allez savoir: peut être l'Algérien est-il plus «assimilationniste» que les autres, c'est pour cela qu'il ne sent pas la nécessité de retrouver des compatriotes. L'explication vaut ce qu'elle vaut, mais elle démontre néanmoins, par défaut, que l'Algérien est bien intégré dans la société marocaine. Et c'est vrai que le Marocain avoue qu'il a plus d'affinités avec les Algériens qu'avec les Tunisiens. Que retenons-nous des années passées au Maroc? La douceur d'un pays, la chaleur d'un peuple...c'est tout? Non. Il faudrait peut être parler du vent froid qui souffle de l'administration. Voilà qu'on commence à s'enrhumer même ici. Atchoum!