La Tunisie a montré la voie, l'Egypte a suivi, imitée par la Libye alors que nombre d'autres pays arabes se sont engouffrés dans la brèche ainsi ouverte. Mais la révolution peut-elle aller loin sans tête pensante, sans organisation? Le peuple a marché, il a vaincu. Certes! Toutefois, comme on le voit en Tunisie - où le cafouillage est à son comble alors que la révolution se délite - et en Egypte - où le nombre de caciques de l'ancien régime sont toujours en place alors que les hésitations et les temporisations risquent de remettre en question les acquis populaires - les révolutions qui ne portent pas un projet de société et ne sont pas soutenues par des forces organisées capables de canaliser et d'exprimer ces demandes, ont de fortes chances de tourner court. Les révoltes du peuple en Tunisie et en Egypte, celles en cours en Libye, au Bahreïn, au Yémen et Oman, notamment sont un signal fort de peuples arabes qui veulent se défaire de despotes qui les ont muselés durant de longues décennies. Or, face aux contingences qu'ils ne savent pas toujours prendre en charge, les «nouveaux» dirigeants des pays «libérés» du joug de l'oppression hésitent sur les choix des priorités, comme sur le choix des hommes, encore qu'il semble que, de ce côté, il y ait plutôt carence d'hommes de la situation. La Tunisie contrainte de faire appel à un homme de 84 (l'ancien chef de la diplomatie de Habib Bourguiba, Béji Caïd Essebsi) pour diriger la transition en atteste à suffisance. Il y a donc aujourd'huis le risque, autrement plus périlleux, tant du retour de régimes fraîchement chassés du pouvoir que, plus grave encore, celui d'une intervention internationale, sous prétexte de sauvegarde de la stabilité de la région, humanitaire et autres... D'ailleurs, des voix, ici et là, en Europe et aux Etats-Unis suggèrent même la possibilité d'une intervention de l'Otan. Ce qui serait suicidaire pour la paix dans la région méditerranéenne, mais surtout risqué pour les pays d'Afrique du Nord qui n'accepteront jamais une intervention militaire étrangère sur leurs territoires. C'est le cas singulièrement de la Libye ou, contre toute raison, le colonel Mouamar El Gueddafi résiste toujours et, pire, nie toute révolte dans son pays, affirmant même, dans une de ses dernières élucubrations, que le peuple libyen «l'adore». Or, une intervention militaire étrangère en Libye ouvrirait la voie à toutes les dérives dont la moindre ne serait pas de transformer la Libye en nouvelle Somalie, où le pouvoir s'est totalement désagrégé après la chute du président somalien Mohamed Siad Barre en 1991. Et le pire c'est que ce qui menace la Libye aura un contre-coup, sur l'Algérie, la Tunisie et l'Egypte, voisines de la forteresse où s'est cadenassé le clan El Gueddafi. Ce dernier faisant fi des mises en garde internationales, a porté hier une contreattaque militaire contre la ville «libérée» de Brega (à 200 km de l'ouest de Benghazi tête de pont de la révolution). Mais il y a aussi le fait que la révolte en Libye commence à perdre pied, quand ce sont certains de ses «dirigeants», n'espérant plus renverser El Gueddafi par la révolte populaire, qui ne rejettent plus le principe de faire appel à des «frappes aériennes» étrangères. Cela montre au moins que si le peuple peut venir à bout de la dictature par sa seule volonté de changement, il reste inopérant et incapable de prendre en charge la suite des évènements dès lors que le mouvement n'est pas organisé, ne dispose pas d'un programme et surtout de têtes «pensantes» capables de voir loin et d'anticiper les évènements. A Tunis, la révolution se délite face aux atermoiements et aux difficultés de mettre en place un vrai gouvernement de transition avec une feuille de route et des objectifs clairs. En Egypte, c'est toujours la même équipe, à quelques éléments près, qui a servi Moubarak qui mène aujourd'hui, ou prétend mener, à son terme le «cahier des charges» stipulé par la révolte populaire. Des despotes qui ont régné durant des décennies sur leurs peuples ne sont pas prêts à «quitter la table» sur simple demande des millions de laissés- pour-compte de leur domination. Qu'ils soient au Yémen (Saleh est au pouvoir depuis 32 ans) à Oman (l'émir Qabous gouverne depuis 40 ans l'émirat), pour citer les deux pays arabes où la révolte a franchi de nouvelles étapes, les dirigeants arabes ont la même conception du pouvoir «ils y sont, ils y restent». Le président yéménite, Ali Abdallah Saleh, face à son incapacité à mater la révolte a fini par accuser Washington et Israël d'être derrière la «déstabilisation» du Monde arabe. Tiens donc! Les Etats-Unis et Israël déstabilisant des régimes qui mangeaient dans leurs mains et surtout dont la survie dépendait complètement de la bienveillance américaine. C'est le cas pour l'Egypte de Moubarak, l'Arabie des Al Saoud ou encore... du Yémen de Ali Abdallah Saleh, le meilleur «allié» de Washington dans la «lutte» contre le terrorisme et Al Qaîda. Ce que d'ailleurs le président Saleh ne se fit pas faute de rappeler à ses «alliés» américains. Comme El Gueddafi, prêt à tuer des milliers de ses compatriotes pour conserver le pouvoir, Saleh, qui n'est pas encore passé à l'action, n'en pense pas moins puisqu'il ne veut pas entendre parler de départ comptant, au contraire, achever son mandat qui court jusqu'en 2013. Constat: le terrible vide politique que les despotes arabes ont fait autour d'eux, fait qu'aujourd'hui, il n'existe pas d'alternative sérieuse et ou crédible de pouvoir dans les pays «libérés» de la dictature ou en phase de l'être. Triste!